La Marseillaise rend compte du drame de Pertuis, novembre 1944

Légende :

La Marseillaise, journal du Front national, rend compte du drame de Pertuis, édition du 29 novembre 1944

Genre : Image

Type : Coupure de presse

Source : © AD des B.-d.-R. PHI 419/1 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal (Voir aussi l'album photo lié).

Date document : 29 novembre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Vaucluse - Pertuis

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Analyse média

La Marseillaise, quotidien du Front national, consacre dès le début des événements une place importante au drame de Pertuis. (Voir la notice « Attentat de Pertuis par la 5e colonne », Le Provençal, 26-27 novembre 1944 dans les médias liés)

Quatre jours après l'explosion du château de La Simone, qui a fait une trentaine de morts parmi les FFI qui y étaient casernés, La Marseillaise consacre ses gros titres et la moitié de la première page aux suites de la catastrophe. Trois photos illustrent les articles, elles ont pour fonction de susciter l'empathie avec les victimes et à réfuter la thèse de l'explosion accidentelle. 

Deux informations sont mises en valeur dans le titre : la proclamation de l'état de siège à Pertuis - qui montre combien la situation est tendue - et l'exécution d'un chef milicien, Robert Autruc. En précisant le grade du condamné, le quotidien tient à montrer que ce n'est pas un « lampiste » qui est fusillé.

Un sous-titre met en avant le rôle de femmes particulièrement déterminées puisqu'elles sont armées et couchées devant les voitures officielles pour faire pression sur les autorités.

L'éditorial suit immédiatement le sous-titre. Le journal refuse que l'enquête ne valide pas la thèse de l'attentat. Pour accréditer l'impossibilité d'un accident, un parallèle est fait avec des attaques incontestables qui se sont produites dans la région. À travers l'exemple de Pertuis, c'est la conduite de l'épuration que le journal met en cause : « Un tel état d'esprit nous conduit au fond du problème, qui est, en définitive, celui des indulgences envers les collaborateurs et les tueurs de la cinquième colonne… Indulgence signifie aujourd'hui complaisance, complaisance finira par devenir synonyme de complicité. » Comme dans d'autres éditoriaux, est réaffirmée ici l'union totale entre la Résistance et la Nation. C'est donc la Nation toute entière qui réclame le châtiment des traîtres.

Sous le titre en gras et gros caractères, plusieurs thèmes sont abordés. En lien avec l'éditorial, le premier paragraphe présente une argumentation confortant la thèse de l'attentat.
Le paragraphe suivant constate sans l'expliquer l'état de siège qui a été proclamé à Pertuis et revient sur l'indignation qui s'est emparée de la population à l'annonce que les prisonniers de la mairie allaient être transférés à Avignon. Le rôle des femmes évoqué dans le sous-titre est développé et précisé : si certaines femmes se sont couchées devant les voitures officielles pour empêcher un hypothétique transfert vers Avignon, d'autres se sont postées, armées de mitraillettes. Les cris de la foule étaient sans ambiguïté : « On les tuera tout de suite si on veut nous les enlever. » Si le journal ne condamne pas cet appel au lynchage, il présente ceux qui l'ont empêché comme « des patriotes ». Curieusement La Marseillaise passe sous silence le rôle du Commissaire régional de la République Raymond Aubrac, revenu en hâte de Paris, qui a proclamé l'état de siège et négocié toute la nuit pour éviter les exécutions sommaires. Il ne cite que deux responsables régionaux du Front national ainsi que Jean Cristofol, président du Comité régional de Libération (CRL) et dirigeant régional du Parti communiste. Le quotidien ne fait pas état de l'évasion d'un des condamnés à mort de la veille et de la découverte d'explosifs dans les sous-sols de la mairie. Il n'explique pas pourquoi un chef milicien d'Avignon est jugé à Pertuis. Le procès devant une cour martiale rapidement improvisée est en fait le résultat de la négociation menée par Raymond Aubrac : un chef milicien d'Avignon dont le dossier avait déjà été instruit est transféré à Pertuis pour y être jugé ; en échange les prisonniers arrêtés le 25 sont acheminés à Avignon par les FRS que Raymond Aubrac avait amenées avec lui. Rapidement jugé et condamné, le milicien est exécuté publiquement à 17 heures 30 contre le mur de l'église Saint-Nicolas. L'exécution que  le crieur avait annoncée à la population a pour but de calmer la soif de vengeance de la foule. Le journal n'oublie pas de rendre hommage à la dignité des blessés que le journaliste visite à l'hôpital et à la douleur des familles des tués.

L'article se clôt par le résumé d'un communiqué des anciens FTPF (Francs-tireurs et partisans français) appelant à une épuration de tout l'appareil administratif, en particulier de la justice et de la police.

Parallèlement au reportage consacré à Pertuis, le communiqué du Comité régional de Libération est cité intégralement. Les titres et sous-titres en gras visent à communiquer la même idée : l'épuration est très insuffisante et ses faiblesses permettent les drames comme celui de Pertuis.

Un court article signale en bas de page l'exécution de deux prisonniers à Digne. Le titre « Deux traîtres ont été exécutés par les FFI », le sous-titre « justice populaire » et le contenu de l'article suggèrent que, dans le contexte actuel, la réaction des FFI est compréhensible, voire légitime. Encore une fois pour le quotidien du Front National, ce sont les lenteurs et les insuffisances de l'épuration qui expliquent les débordements populaires. 

La presse régionale continue de rendre compte quotidiennement de l'affaire de Pertuis mais toujours avec des variantes importantes (voir l’album lié) qui ne s'expliquent pas seulement par l'enchaînement précipité des événements mais aussi par des divergences politiques sur les rôles respectifs de l'État, des organisations de résistance et de la population dans l'épuration.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Cet article de La Marseillaise est publié quatre jours après l'explosion meurtrière du château de La Simone dans un contexte de très grande tension. Le 28 novembre, deux condamnés ont été fusillés par les FFI dans la prison de Digne. Le 29, jour de parution de l'article, deux internés sont tués au centre de séjour surveillé de Saint-Vincent-les-Forts et une explosion à la coopérative oléicole de Manosque, lieu également de casernement, fait d'autres victimes parmi les FFI. La population est exaspérée par cette violence attribuée à « la cinquième colonne » ou aux « maquis blancs » du Sud Lubéron (Voir note des Renseignements Généraux en album).
Le GPRF et ses représentants, Commissaire régional de la République, préfet, autorités militaires tiennent à maintenir l'épuration dans un cadre légal. Il en va pour eux de l'affirmation de l'État républicain. Les organisations de résistance, comme le Front national, comprennent cet impératif mais n'acceptent pas qu'au nom de l'ordre, l'épuration s'affadisse et que les anciens collaborateurs tuent impunément. Le Parti communiste partage cette vision et Jean Cristofol, par sa double fonction de président du CRL et de dirigeant communiste bien connu, arrive à se faire entendre de foules prêtes au lynchage.

Le Provençal du 29 novembre consacre aussi la moitié de sa première page aux événements de Pertuis mais accorde une place prépondérante au communiqué du CRL et à la déclaration du Commissaire régional de la République, Raymond Aubrac. L'exécution de deux condamnés par les FFI de Digne est résumée en cinq lignes en bas de page (voir l’album lié).

La France, quotidien gaulliste, refuse encore davantage le sensationnel. Un titre annonce l'état de siège et un sous-titre l'exécution du milicien Astruc (sic.). Le style de l'article est volontairement sobre. Deux colonnes sur trois sont consacrées aux déclarations officielles du Comité régional de Libération et de Raymond Aubrac (Voir l’album lié). La mise en valeur de l'indignation populaire ou des efforts des représentants institutionnels pour faire respecter un État de droit montre les divergences qu'il pouvait y avoir sur l'épuration au sein même de la presse issue de la Résistance.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Michèle Bitton, « Pertuis, 25 novembre 1944. L'explosion du château de La Simone », Mémoire et Histoire, novembre 2011.

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.

Archives départementales des Bouches du Rhône, Le Provençal, 29 novembre 1944, PHI 420/ 1 et La France de Marseille et du Sud-Est, 29 novembre 1944, PHI 417/1.

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 149 W 128.