Les pendus de la Mure, Vassieux-en-Vercors

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : photo Chazot

Source : © ADD, fonds Vincent-Beaume Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique noir et blanc.

Date document : Sans date

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Vassieux-en-Vercors

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Analyse média

La photo représente un exemple des exactions allemandes dans le Vercors. Elle est une des plus connues. Par un système de cordes et de planche, les deux hommes, épuisés, se sont pendus mutuellement. Les corps n'ont été découverts qu'une quinzaine de jours après la pendaison par le groupe dirigé par Jean Veyer de Die.


Auteur : Alain Coustaury

Contexte historique

À partir de juin 1944, les Romanais et les Péageois, comme tous les Français, suivent avec espoir les combats sur le sol de Normandie, mais ce sont d'abord les événements du Vercors si proche qu'ils suivent jour après jour.

En ce mois de juin 1944, les autorités et les journaux vichyssois, nationaux et locaux, sont silencieux sur la dissidence, la montée au Vercors et les exactions des Allemands. Cependant, lors du conseil municipal de Romans du 24 juin, le maire, René Barlatier, donne lecture d'une lettre du maire de Saint-Donat, l'informant des dommages matériels considérables commis dans la journée du 15 juin, et demandant que la ville de Romans participe, par une souscription, au secours des sinistrés, ce que feront les Romanais. Ces derniers partagent la douleur des Donatiens mais, par prudence, le conseil municipal ne peut stigmatiser la barbarie allemande. Ce sera le dernier conseil avant la Libération.

à Romans, les réquisitions des maquisards se multiplient. Le 22 juin, l'entreprise d'électricité Gaudé doit livrer "235 litres d'essence". Le 3 juillet, le directeur du collège technique de Romans reçoit un bon pour "quatre machines à écrire" qui porte le cachet de la brigade de la gendarmerie de La Chapelle-en-Vercors et l'en-tête "République Française - Armée de libération nationale - Plateau du Vercors". Le 6 juillet, c'est la réquisition, toujours pour le Vercors, de "soixante paires de chaussures" chez Attuyer, le lendemain, de "800 litres d'huile et 15 litres d'essence" à la Société des Engrais du Dauphiné ; quelques jours plus tard, de "chaussettes pour 15 000 à 20 000 francs" à la Bonneterie Romanaise. Le 17 juillet, une trentaine d'inconnus armés de FM, de mitraillettes et de grenades attaquent le poste de gendarmerie du barrage de Pizançon et désarment les gendarmes. Ils enjoignent au personnel de les suivre, ils refusent cependant de quitter leur poste. Les maquisards quittent l'usine en emmenant un camion et prennent la direction de Saint-Nazaire-en-Royans. Le même jour est signalé le vol de "2105 paires de chaussures" à l'usine Atlas.

Ces actions de sabotage entraînent des restrictions des communications téléphoniques et un rationnement de l'eau potable. A partir du 16 juin, l'entrée et la sortie du département de la Drôme sont interdites à la majorité de la population. Les réactions des polices allemandes et françaises sont violentes. Le 9 juillet, les miliciens font une descente à Romans avec une liste de personne à arrêter, notamment Victor Boiron et Albert Triboulet ; la Gestapo est à Bourg-de-Péage. Le 18 juillet, le préfet notifie aux maires : "les actes de sabotages et l'établissement de barrages sur les routes constituant une grave entrave à la circulation publique, il vous appartient de prendre d'urgence toutes mesures immédiates pour rétablir la libre circulation". Deux jours plus tard, une voiture FFI est mitraillée au passage-à-niveau de Mours, deux maquisards sont tués, les autres faits prisonniers. Le 21 juillet, on signale l'assassinat à Bourg-de-Péage du secrétaire du syndicat ouvrier ; à Romans trois personnes sont tuées par les Allemands.

L'intensification de ces réquisitions et des sabotages correspond d'abord à une nouvelle situation politique : le 3 juillet, la "République du Vercors" a été proclamée. à la mi-juillet, le massif abrite environ 4 000 hommes dont "2000 complètement armés", "1000 partiellement armés" et "1000 sans armes", il faut aussi les habiller et les nourrir. Le vendredi 21 juillet, c'est l'offensive allemande contre le Vercors. Les troupes se pressent sur les routes de notre région. "Ils encerclent le Vercors", dit-on. Il s'agit de plus de 10 000 hommes, essentiellement de la 157ème division d'Infanterie de réserve, commandée par le général Pflaum, appuyée par l'aviation et un débarquement aéroporté à Vassieux. La nouvelle est confirmée dans la soirée par la BBC. Des Messerschmitt survolent Romans et Bourg-de-Péage et l'on entend au loin les bruits sourds de bombardements.

Le courrier, qui circulait encore la veille, ne passe plus. Entre le 21 juillet et le 4 août, le receveur des postes de Romans est contraint d'héberger deux soldats allemands chargés de garder jour et nuit le central téléphonique. Les assiégeants sont signalés à Saint-Nazaire-en-Royans, à Izeron, à Rochefort-Samson.

Face aux troupes allemandes, l'organisation militaire du maquis est défaillante. Le dimanche 23, les chefs militaires du Vercors donnent l'ordre de dispersion à l'intérieur du massif ; toute tentative de sortie pour rejoindre la vallée de l'Isère et la plaine de Valence ayant été jugée trop dangereuse.

Malgré cet ordre, des Romanais et des Péageois tentent de s'échapper. Certains arrivent en ville à partir du mardi 25 juillet jusqu'au vendredi 28. Ils font du Vercors le tableau le plus affolant : "il ne reste plus personne, tous les résistants ont été exterminés, on les écorche vivants ; ceux qui sont dans les bois meurent de faim". La population apprend alors que les nazis ont atterri en planeurs à Vassieux. "Les boches pillent et brûlent tout sur leur passage", on chuchote des noms de fusillés. On sait que ceux qui essayent de franchir l'Isère pour fuir sont mitraillés dans l'eau et, pour la plupart, noyés. Ils ne restent alors plus que 1 300 maquisards dans le massif.

Les Allemands ont récupéré des listes et les utilisent. Dans l'après-midi du dimanche 30 juillet, deux "collabos" venant de Saint-Nazaire-en-Royans, et se faisant passer pour des résistants, parcourent Bourg-de-Péage et Romans pour s'informer de la présence d'hommes descendus du Vercors, puis en rendent compte aux nazis. Le lendemain, les Allemands arrivent de Saint-Nazaire et visitent les maisons des maquisards ; des hommes et des femmes sont interpellés ; de nombreuses arrestations sont suivies d'exécutions. Tous les appartements des agents de police maquisards sont également saccagés.
Le pillage se poursuit le 1er août et les jours suivants. Le 4 août, une ferme de Bourg-de-Péage qui a accueilli un résistant est incendiée. Le lendemain, les Allemands ayant liquidé le maquis du Vercors, descendent leur matériel et rejoignent Lyon. Le téléphone, interrompu depuis le siège, est partiellement rétabli. Les mauvaises nouvelles commencent à se préciser : "des maquisards ont été fusillés, La Chapelle a été incendiée, 17 jeunes sont tombés, lâchement assassinés par les nazis".

Les autorités et journaux vichyssois sont muets sur les drames de l'été 1944, pourtant si proche : bombardement de Saint-Nazaire-en-Royans du 29 juin, exactions des Allemands à Saint-Mamans, Rochefort-Samson, Charpey en juillet.
Le 5 août, l'évêque de Valence reporte la responsabilité des massacres du Vercors sur la Résistance : "Nous sommes sans nouvelle de diverses régions de notre diocèse. Plusieurs ont connu des bombardements meurtriers. Voici qu'à leur tour des Français perdent la tête et nous attirent les représailles sanglantes annoncées par le Maréchal [Pétain]. Des villages sont détruits, les habitants prennent la fuite, les femmes cherchent en vain trop souvent à sauvegarder leur sécurité et leur honneur".

A partir du dimanche 6 août, alors que les Allemands restent vigilants et menaçants, d'autres maquisards romanais et péageois, survivants du Vercors, arrivent dans les deux cités, amaigris et fourbus, après quinze jours passés dans les bois, à la recherche de nourriture et de l'eau, à la merci des patrouilles ennemies. Un jeune Romanais de 18 ans réussit à faire sortir du Vercors et à guider jusqu'à Romans un groupe d'hommes, la plupart d'origine alsacienne. Le groupe de Marcel Armand s'est retrouvé dans la ferme Baracand à Génissieux ; la section "Jacquelin" à Montmiral. Octave Taravello et ses 24 hommes récupèrent à la Sône un camion à gazogène qui les conduit, par Génissieux, jusqu'à la bourrellerie Taravello au quartier de la Vessette où des armes sont à nouveau cachées.
Le 11ème Cuirassiers, sous les ordres du commandant "Thivollet", reste cantonné dans la forêt de Bouvante. Moins de quinze jours plus tard, le 22 août, il participe à la première libération de Romans et de Bourg-de-Péage.


Auteur : Laurent Jacquot
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme et le Vercors, éditions AERI-AERD, 2007.