LIVRE

Lacroix-Riz Annie

Industriels et banquiers français sous l'Occupation

L’ouverture des archives des années 1930 et 1940, en particulier les fonds français et allemands de l’instruction des procès des ministres de Vichy en Haute Cour, permet de répondre aujourd’hui formellement à la question que posait en 1999 l’ouvrage Industriels et banquiers sous l’Occupation. La collaboration économique avec le Reich et Vichy : la haute banque et la grande industrie furent-elles confrontées au vainqueur allemand brutalement installé à l’été 1940 ou accueillirent-elles avec empressement leur partenaire privilégié, pour amplifier une collaboration « continentale » et « européenne » établie de longue date ? L’hypothèse d’un lien organique entre la « collaboration économique » – ou la Collaboration tout court – d’avant-guerre et celle de l’Occupation reflète ce qu’Alexandre Jardin appelle dans sa préface « l’effarante réalité », celle qui pousse à « entrer en déni pour trouver l’existence plus respirable ». La continuité des pratiques du grand capital financier entre Crise et Occupation est désormais démontrée : vente au Reich de tout ce qui pouvait être vendu, des matières premières aux produits fabriqués, fondation de cartels « européens » à direction allemande, cession des titres français – qualifiés de 1940 à 1944 d’« aryens » ou de « juifs » et associations de capitaux, avec éviction, depuis l’invasion, des « capitaux juifs ». Les sources révèlent le rôle décisif joué par les grands lieutenants de la synarchie dans « l’État français » et dans l’économie, désormais exclusivement mise au service de la machine de guerre allemande : industriels et banquiers eux-mêmes, hauts fonctionnaires, permanents ou d’occasion, ils appliquèrent, avec l’aide de l’occupant, un plan drastique de hausse du profit, de concentration du capital et de baisse des salaires. Délégués à tous les ministères économiques, ils investirent aussi l’Intérieur, poste utile au combat contre les « indésirables » intérieurs, étrangers ou français, les ouvriers « meneurs » ou non, mais aussi les modestes concurrents économiques, juifs ou « aryens ». Les archives désormais accessibles éclairent enfin les étapes du passage des élites financières de la Collaboration, souvent poursuivie jusqu’aux limites de l’été 1944, au ralliement général à la Pax Americana et au triomphe du statu quo socio-économique de la Libération. Si « effarants » qu’ils soient, ces fonds imposaient de refaire l’ouvrage de 1999. Sa nouvelle version est une obligation bienvenue, à l’heure où une nouvelle bourrasque systémique renoue avec l’ère de Crise et de guerre.



Armand Colin, Paris, 2013, 816 pages