La ballade d'Itsik Witenberg, légende et réalité dans le ghetto de Vilna, 1947

Légende :

Ballade composée par Shmerke Kaczerginski à la mémoire du Itsik Witenberg,  commandant du Faraynigte Partizaner Organizatsiè( FPO) Organisation unifiée des partisans du ghetto de Vilna. Traduction Michel Liebermann.

Type : poème

Producteur : MUREL

Source : © « Dos gezang fun Vilner geto » Droits réservés

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Analyse média

Shmerke Kaczerginski (1908-1954) naît à Vilna( Vilnius, Lituanie) alors dans l'empire russe. Orphelin, il devient typographe. Après la révolution russe, il devient communiste et compose une chanson politique « Barikadn » qui devient très populaire. En 1929, Shmerke Kaczerginski  rejoint le cercle de jeunes poètes yiddishophone dont Avrom Sutzkever  et Hirsh Glick sont les plus connus. Dans le ghetto de Vilna, Shmerke Kaczerginski  compose des chansons dont les plus célèbres sont « Friling » , (le Printemps) et Shtiler, Shtiler (chut, chut) qui évoque le massacre des Juifs dh ghetto dans la clairière de Ponar. ( voire contexte historique)

Cette balade  est écrite en mémoire d' Itzik Witenberg, commandant des partisans du ghetto et tué  en juillet 1943. Elle correspond aux canons des chants de résistance des ghettos.  Respecter la vérité historique n'est pas l'objectif. Il faut magnifier la personne d'Itzik Witenberg, en faire un héros et un modèle et passer sous silence les circonstances exactes qui ont conduit à sa mort (voire contexte historique).


Sylvie Orsoni

 

Contexte historique

Wilna, Vilna,  Wilno,  et maintenant Vilnius fut allemande, polonaise, russe, lituanienne, soviétique puis redevint lituanienne après la Seconde Guerre mondiale. Elle était avant guerre peuplée de Polonais, de Russes, de Lituaniens et de Juifs. Pour les Juifs, 60 000 à 70 000 âmes dans les années trente, soit le tiers de la population,c'était Vilnè. Vilnè fut un centre religieux, la capitale mondiale du yiddish et de la création artistique yiddish. Elle fut aussi  bien le berceau du socialisme juif avec le Bundt que du sionisme. Sa vitalité culturelle et politique culmine dans l'entre d'eux guerres. Mais  dans cette ville faussement cosmopolite chaque communauté gardait son quant-à-soi et ses préjugés, voire ses haines nationalistes.Lorsque la ville devient polonaise après la Première Guerre mondiale,  un pogrom frappe les Juifs le 19 octobre 1919 et fait  entre 65 et 80 victimes. En 1938-39, le gouvernement polonais adopte une législation antisémite. Le 19 septembre 1939, les troupes soviétiques, en vertu du pacte germano-soviétique entrent à Wilno.  En octobre, Wilno est transféré à la Lituanie qui a signé un accord avec l'URSS. 30 à 40 000 Juifs fuyant la zone d'occupation allemande se réfugient à Wilno. La population polonaise  de la ville manifeste aux cris de  « A bas les Lituaniens, à bas les Juifs, à bas les Soviétiques. »  et  s'attaque aux Juifs.Le 3 août 1940, la Lituanie devient une république soviétique. Toutes les organisations juives sont interdites et nombre de leurs membres arrêtés et déportés  en URSS. Les écoles yiddish sont strictement contrôlées. Le 21 juin 1941, Hitler rompt le pacte germano-soviétique et 24 juin, les troupes allemandes pénètrent dans Vilna. La population lituanienne considère dans un premier temps les Allemands comme des alliés. Les massacres de Juifs commencent en Lituanie. Les Einsatzkommando (troupes allemandes spécialement chargées de tuer les populations juives) entrent en action  le 3 juillet. 35 000 Juifs sont raflés par les Einsatzkommando et exécutés à Ponar, forêt située à 7 kms de Vilnè. Le 4 juillet , les Allemands imposent la formation d'un Judenrat. Les Juifs de Vilnè commencent à organiser des malines  ou farmalineven en argot yiddish, c'est-à-dire des cachettes.  Les massacres se poursuivent  avec l'aide de supplétifs lituaniens et lorsque le ghetto est formé le 6 septembre 1941, près de la moitié de la population juive a été déjà été tuée. 29 000 personnes furent transférées dans le ghetto 1 et près de 11 000 dans le ghetto 2 qui fut liquidé le 28 octobre 1941. Le ghetto est situé dans le quartier le plus misérable de la ville. Il est totalement isolé et les survivants doivent travailler dans des ateliers allemands ou lituaniens. Les tueries se poursuivent. Pour la période du  11 juillet au 24  décembre 1941, on estime à  45 000 le nombre de Juifs exterminés par balle.  Le SS-Standartenfürher Jäger dans son rapport du 1 décembre 1941 écrit :  « Aujourd'hui, il m'est possible d'affirmer  que le EK3 [ Einsatzkommando n°3] a atteint l'objectif fixé, il a résolu le problème juif en Lituanie. Il n'y a plus de Juifs en Lituanie dans le secteur excepté les travailleurs juifs affectés à des tâches spéciales, soit :

-à Schaulein : environ  4 500

à Kauen : environ 15 0 00

à Wilna : environ 15 000.

J'avais l'intention de faire liquider ces travailleurs juifs et leurs familles, mais l'administration civile se sont montrés extrêmement hostiles à ce plan, en conséquence de quoi : il est interdit de fusiller ces Juifs et leurs familles. »

A  partir de septembre 1941, toutes les organisations juives et particulièrement leurs mouvements de jeunesse décident de coordonner leurs actions. Le 21 janvier 1942 est fondé le FPO,  Faraynigte Partizaner Organizatsiè,  (Organisation unifiée des partisans). Le FPO est dirigé par le communiste Yitz'hak (Itzik) Witenberg. Le FPO avait décidé la lutte armée. La résistance communiste lituanienne fournit quelques armes.

Malgré les conditions de vie inhumaines, une vie culturelle intense se maintient. Des écoles subsistent malgré l'extermination de nombre d'enseignants.  A la grande bibliothèque Mefitsè Haskolè,  2 500 lecteurs permanents et 5 000 occasionnels fréquentèrent la salle de lecture. Représentations théâtrales, concerts, récitals de poésie sont organisés. Les chants exaltant la résistance sont également composés comme l'hymne des partisans : Zog nit keymol az du geist dein letzn veg, ( Ne dis pas que tu suis ton dernier chemin) de Hirsh Glick.

 En juillet 1942, Jakob Gens, chef de la police du ghetto est nommé par les nazis « chef des Juifs ». Il incarne toute l'ambiguïté de la police juive et du Judenrat : » Moi, gens, je fais sauter des planques souterraines des Juifs et je me donne en même temps du mal pour procurer des faux papiers, des emplois, aux gens du ghetto. Je tiens la comptabilité du sang juif et non celle de l'honneur juif. Lorsqu'on me demande mille Juifs, je les livre, car autrement les Allemands viendraient se servir eux-même et ce n'est mille, mais des milliers qu'ils prendront... Moi, Jakob Gens, si je m'en sors, je serai souillé et les mains dégoulinantes de sang... Mais je dirai :  ... » Pour que certains Juifs puissent survivre, j'ai dû conduire d'autres juifs à la mort. Pour que des juifs puissent garder leur conscience intacte, j'ai dû agir sans conscience. »

A partir de mars 1943, des bruits courent que le ghetto va être liquidé comme ceux de Kovno. J.Le 5 juillet 1943, les Allemands  arrêtent Itsik Wittenberg  et comprennent qu'il est le dirigeant de la résistance. Ses camarades du FPO attaquent les gardes et le délivrent.  Une réunion se tient au siège du FPO : Itsik Wittenberg défend l'idée de déclencher la lutte armée car le FPO est repéré. Les habitants du Ghetto, Jacob Gens se prononcent contre la résistance. Les camarades d'Itsik Wittenberg  ne le soutiennent pas et Itsik wittenberg se rend aux Allemands. Les circonstances exactes de sa mort ne sont pas élucidées. Jakob Gens lui a-t-il fourni une pilule de cyanure ? Des membres du FPO quittèrent le ghetto et se réfugièrent dans la forêt proche. Leurs familles furent exécutées. Les autres, dont Shmerke Kaczerginski  et Avrom Sutzkever,  partirent par les égouts lors de la liquidation du ghetto et rejoignirent  les partisans des forêts de Narosz et Rudnicki en septembre 1943.Jakob Gens fut fusillé  le 15 septembre 1943 lors de la liquidation du ghetto.

 On estime que 80 000 personnes furent tuées à Wilno ou dans les environs.

Vilnè, la Jérusalem de Lituanie  et six siècles de vie juive étaient définitivement anéantis.


Sylvie Orsoni

Sources

Minczeles Henri, Vilna, Wilno, Vilnius la Jérusalem de Lituanie . Éditions La découverte, Paris, 1992.

Songs of the Vilna ghetto,  LP record, 1969