Couverture d’une brochure intitulée « Charte du Travail »

Genre : Image

Type : Brochure

Source : © Collection Robert Serre Droits réservés

Détails techniques :

Couverture d’une brochure de 24 pages, 21 x 27 cm.

Date document : Sans date

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Couverture d’une brochure de 24 pages avec un encart plié, format 42 x 54 cm, présentant le « schéma de l’organisation par familles professionnelles » et son explication. Document non daté, édité par « L’espoir français » Vichy, imprimerie du Salut public, Lyon.

L’illustration de couverture montre cinq mains, la manche du vêtement permettant de reconnaître des mains d’ouvriers, de patrons, d’employés, etc., fraternellement unies et tendues vers la Charte du Travail, présentée comme un parchemin qu’on vient de dérouler, auquel est fixé un sceau.

La Charte du Travail, inspirée du corporatisme de Mussolini, visait à domestiquer les syndicats : « il s’agit de mettre fin à cet esprit revendicatif […] qui nous a perdus », déclare Pétain. Et son vice-président du Conseil du moment, Darlan, précise qu’il s’agit de « discipliner » les réactions des travailleurs. En fait, les Comités qui la composent sont soumis au bon-vouloir du patronat et du pouvoir vichyste. La Charte se heurta donc à une puissante résistance et elle ne parvint jamais à empêcher les travailleurs de se défendre.


Auteurs : Robert Serre

Contexte historique

Promulguée le 4 octobre 1941, cette charte, véritable support idéologique du nouveau régime, trouvera ses applications, comme ailleurs, dans l’industrie de la chaussure. Dans le préambule, sous forme de lettre de Darlan, vice-président du conseil, et de deux ministres d’État, on peut lire : « La pierre angulaire de la charte réside dans la création des comités mixtes locaux, au sein desquels se trouveront réunis tous les membres d’une même profession […] Le comité social aura sa maison commune […] Les syndicats ont donc leur place dans cet ordre nouveau […] Mais ces syndicats ne seront plus les syndicats de tendance du passé […] ils seront désormais obligatoires pour être forts, uniques pour être francs. Leur activité sera désormais strictement limitée au domaine de leur profession. Ils vivront et fonctionneront sous l’autorité des comités locaux et en s’inspirant de leurs doctrines qui ne sauraient être elles-mêmes que celles du Gouvernement… [La charte] servira ainsi de base à la création de futures corporations ».

Dans un numéro spécial de novembre 1941, la Vie Ouvrière clandestine réagit en qualifiant la Charte de « carcan passé au cou des travailleurs ». Les syndicats ne sont pas supprimés, ce sont les confédérations qui disparaissent. Mais l’objectif vichyste est la création de syndicats uniques et obligatoires. Les syndicalistes refusant le corporatisme et la collaboration devront faire face à la répression, ils vont résister dans les mouvements et réseaux constitués.
Examinons la mise en place locale de cette organisation du travail au travers des entreprises de Romans. Les employeurs romanais s’enthousiasment : « La Charte du Travail qui vient d’être promulguée marque un tournant dans l’histoire économique et sociale de la France […] La route qu’elle découvre est magnifique […] Était-il donc si malaisé de faire régner l’harmonie là où s’installait le désordre ? […] Comment ne pas saisir alors et condamner l’action des métèques, inventeurs de théories économiques, celles des aigrefins internationaux, habiles à plumer la volaille française, […] tous détrousseurs du peuple ».
En application de la charte, des syndicats professionnels doivent être créés. Mais le Syndicat Unique des Cuirs et Peaux du département de la Drôme n’est constitué que le 24 décembre 1944, le siège en est fixé à Romans. Quant au Syndicat unique des employeurs des industries de la chaussure du centre de Romans, auquel sont intégrés les fabricants de galoches, c’est un des derniers à avoir été constitué, par arrêté ministériel, en juillet 1944. Il était temps !
Le comité social est par contre un des premiers à être créé puisqu’il est mis en place le 8 août 1941. Cette anticipation serait due au fait que J. E. J. Fenestrier est directeur du Comité d’organisation de la chaussure sur le plan national. Il connaît déjà la future charte. Le préfet montre ce rôle déterminant dans son rapport du 18 août 1941 : « À l’initiative de M. Fenestrier, directeur responsable de la chaussure, et conformément aux directives données par le Maréchal dans ses discours de Saint-Étienne et de Commentry, j’ai constitué à Romans un Comité Social pour l’industrie du cuir. Ce comité composé en nombre égal de représentants des patrons, des techniciens et des ouvriers, est chargé de s’occuper de toutes les questions d’ordre social intéressant l’industrie du cuir que la perspective du chômage pour cet hiver rend plus particulièrement importantes ». Le 17 décembre 1941, Fenestrier informe ses collègues que M. Belin, ministre du Travail, viendra inaugurer le Comité Social de Romans et que le Maréchal, « informé de l’effort fait par l’industrie de la chaussure », envoie ses félicitations. Ce Comité social porte aussi la marque d’Émile Peysson, patron de Sirius, particulièrement intéressé par cet aspect de la Charte ; il représente le patronat social, lié aux mouvements chrétiens sociaux et à la Mutualité des « notables ». Cette création a reçu aussi l’accord de A. Fave, un des responsables syndicaux de la nouvelle CGT corporatiste. Pendant toute la guerre, le comité social sera présidé par M. Chevalier, directeur administratif de la maison Fenestrier, alors qu’il avait été prévu au départ une alternance annuelle patron-ouvrier.
Gilles Morand qui a consacré son Mémoire de maîtrise d’histoire aux organismes sociaux romanais de 1940 à 1955 étudie en détail cette application de la Charte à Romans pendant la période de guerre : « C’est dans le domaine des réalisations sociales que la Charte du travail connaît à Romans le plus franc succès. Ce succès s’explique, en réalité, ni par les pressions des syndicats ouvriers, ni par celles du gouvernement, encore moins par une volonté soudaine du patronat romanais de partager son pouvoir, mais en fait par des données plus “prosaïques” : la durée du travail est supérieure à 48 heures, les salaires sont “anormalement bas” et les problèmes de ravitaillement sont immenses ». Il écrit, citant M. Cointepas : « L’intérêt bien compris de l’employeur est de veiller au moins à la simple reproduction journalière de sa main-d’œuvre, en multipliant les "œuvres sociales". Plutôt que d’embaucher pour assurer leur gestion, il est plus pertinent de faire appel au bénévolat. Les comités sociaux se développent donc parce que se développent les œuvres sociales pour les ouvriers, dans l’intérêt des employeurs ».
Le syndicat patronal, fidèle à ses engagements précédents, estime, le 24 décembre 1941, « que les relations entre patrons et ouvriers doivent, dès maintenant, se faire dans l’esprit de collaboration ». Il souhaite « la création de Comités Sociaux d’Entreprises », ceux-ci devant s’organiser dans chaque établissement de plus de 100 ouvriers (Ce nombre est ramené à 50 en 1942). « Dans la création de ces comités, le patron aura un rôle d’appréciation ; ce n’est pas lui qui doit désigner d’office les représentants du personnel mais il doit s’efforcer de faire surgir, de susciter les éléments qui seront appelés à siéger au Comité Social d’Entreprise. Ce qui importe, c’est que ce soient des éléments “sains” qui prennent la direction des Comités Sociaux afin que la “Révolution Nationale” entre dans la voie des réalisations » (souligné par nous). On ne saurait être plus clair ! D’ailleurs, cela est rappelé, le 30 octobre 1942 : « les patrons ont droit de veto lors des nominations (par élection). Il faut éviter que les “mauvais éléments” s’introduisent dans ces comités ».
L’œuvre principale du comité social est la distribution des « repas économiques ». Ici comme ailleurs, le " ravitaillement " est un des problèmes essentiels. À sa création, 1 800 repas par mois sont distribués, 5 500 en mars 1942 et 11 000 en 1944. Les patrons gardent le contrôle de ces actions, la distribution des tickets-repas étant assurée par le comité social d’entreprise, sous leur coupe. Ces tickets sont attribués " aux ouvriers dont les cas paraissent les plus intéressants ", ce qui ouvre la porte à des injustices.
La seconde œuvre importante du comité social est la création des jardins ouvriers. Une Association des Jardins Ouvriers existe depuis 1940, elle est dirigée par Émile Peysson. Ces jardins sont créés au quartier de la Monnaie, non encore construit.
Autre domaine ou le comité social intervient, c’est celui de l’" Hygiène et Sécurité ", en particulier la prévention des maladies professionnelles dont le benzolisme, intoxication sanguine due au contact avec les colles contenant du benzol. Mais ce projet n’obtient pas l’accord de tous les patrons et, en 1942, il est au point mort. Il faut attendre fin 1943 pour voir la mise en place d’un service médico-social. Le comité social reprend à son compte la caisse de secours aux chômeurs créée par la Légion Française des Combattants en 1941. Il crée aussi une caisse d’allocations aux prisonniers et à leurs familles.
À l’intérieur du syndicat patronal, des différences d’appréciation de la situation se manifestent dès 1943. Le Journal Officiel publie la liste des dirigeants du nouveau syndicat. Le bureau existant, dans sa réunion du 14 janvier 1944, surpris de l’apprendre par les journaux, décide de s’abstenir de tout commentaire mais précise que ces nominations n’ont pas été inspirées par lui et que les membres évincés gardent toute sa confiance ! En avril, le nouveau " Syndicat des Employeurs de la Famille du Cuir de Romans " n’est toujours pas en place.
Cependant, le syndicat patronal envisage l’avenir avec un certain réalisme. Dans l’assemblée du 24 décembre 1941, il déclare : " Le souci de la qualité doit guider les actes de l’industrie de la chaussure car, dès maintenant, il faut songer à la concurrence qu’il y aura à soutenir si l’Axe l’emporte " (souligné par nous). Cependant, deux ans plus tard, le 13 juillet 1943, subodorant une autre fin possible du conflit, le président Fenestrier attire l’attention sur les difficultés à prévoir à la fin de la guerre en raison de l’ouverture de la concurrence étrangère : " Chacun doit se préoccuper dès maintenant de son organisation et préparer la voie à des regroupements d’industries ".
Quant à la maison Corporative du Travail de Romans prévue par la Charte, elle connaît tellement de retard et de difficultés dans son élaboration qu’elle n’a jamais vu le jour !


Auteurs : Jean Sauvageon, Robert Serre
Sources : Extrait de l'ouvrage Les Romanais, Romans et la chaussure, rédigé par une équipe d'ACCÉS-Université populaire de Romans sous la direction de J. Sauvageon, 2001, éditions Peuple Libre & Notre temps. CGT, Le mouvement syndical dans la Résistance, éditions de la Courtille, actes des Journées d’études de septembre 1972.