Article de presse intitulé "Epilogue", La Marseillaise, 4 septembre 1944

Légende :

Article de presse intitulé "Epilogue", paru dans  La Marseillaise, 4 septembre 1944

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © AD des Bouches-du-Rhône - 419 PHI 1 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal.

Date document : 4 septembre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

L’article revient sur les violences qu'un groupe de jeunes gens ont infligé, le 1er septembre 1944, à une femme soupçonnée d'avoir eu des relations avec les Allemands et dénoncé des réfractaires dans le quartier d'Endoume à Marseille. Le premier paragraphe réitère la condamnation du traitement infligé à la jeune femme par ces justiciers improvisés. Il n'évoque plus les relations sexuelles avec des Allemands, mais la dénonciation de réfractaires, fait en soi particulièrement grave tout en laissant la place au doute sur la véracité des faits reprochés à la jeune femme. Cela rend la suite de l'histoire particulièrement douloureuse puisque la jeune femme s'est suicidée. L'article rappelle le doute pesant sur sa culpabilité en insistant sur le fait que le suicide ne vaut pas aveu mais peut aussi être dû à la honte provoquée par l'exhibition sous les yeux des voisins. L'article insiste sur la réprobation « unanime » de la population devant de tels procédés, qui bouleversent la vie paisible du quartier. Le rapport des Renseignements généraux était plus nuancé en ne faisant état de la réprobation que « d'une partie de la population ». L'article se termine par l'évocation de la victime ultime et innocente de ce lynchage, le petit garçon, qui se retrouve seul puisque son père est prisonnier en Allemagne.

Cet article complète celui paru la veille. Le journaliste s'est livré à une enquête approfondie et apporte plus de détails sur la situation familiale de la victime que la note des Renseignements généraux, mais passe sous silence une partie des violences infligées à la jeune femme pour ne retenir que la nudité. Il insiste sur le fait que la culpabilité de la jeune femme doit être établie dans les formes légales et non décrétée par une minorité incontrôlée de la population.

Une prise de position aussi nette à travers deux articles, certes de format modeste, est rare dans la presse de l'époque, qui ne montre guère de compassion à l'égard des femmes soupçonnées de collaboration.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Les événements d'Endoume surviennent dans un temps chaotique, où les autorités désignées par le Gouvernement provisoire et les responsables de la Résistance essaient de rétablir la légalité républicaine et endiguer les violences extra-judiciaires. Les rapports des Renseignements généraux font état des inquiétudes de la population, qui craint les violences de groupes incontrôlés se réclamant de la Résistance pour commettre des exactions. Des faits analogues sont signalés dans d'autres quartiers de Marseille et du département.

L'Assemblée consultative provisoire avait défini le cadre juridique et juridictionnel de l'épuration à mettre en œuvre au fur et à mesure de la libération du territoire métropolitain. L'ordonnance du 26 août 1944 crée le crime « d'indignité nationale », puni par la dégradation nationale, ainsi que des juridictions d'exception : Haute Cour de justice au niveau national, cours de justice au niveau départemental. L'ordonnance complémentaire du 26 décembre 1944 institue les chambres civiques pour examiner les cas des personnes susceptibles d'encourir une condamnation pour indignité nationale. L'ordonnance du 26 décembre ne retient pas les relations sexuelles avec l'occupant parmi les conduites susceptibles d'entraîner une condamnation pour indignité nationale. À aucun moment, le marquage physique des personnes condamnées n'est envisagé. Cependant, dans les premiers jours de la libération des villes et villages, une violence spécifique touche des femmes supposées avoir collaboré avec les Allemands ou/et dénoncé des résistants. C'est ce que le philosophe Alain Brossat a appelé le « carnaval moche », qui suit un rituel pratiquement identique : les femmes sont rasées, marquées de croix gammées et promenées  parfois nues dans les rues en présence d'une foule nombreuse. La mémoire collective attribue ces actes aux « résistants de la vingt-cinquième heure ». Elle établit une distinction entre les résistants qui ont lutté au péril de leur vie et des hommes qui croient ainsi faire acte de patriotisme et faire oublier une attitude souvent attentiste pendant l'Occupation. L'historien Fabrice Virgili a montré que la réalité était plus complexe. Des femmes ont été tondues et exhibées par des FFI dans les premières heures qui suivent la libération de localités, elles l'ont été dans le huis clos des casernes après leur arrestation et avant leur jugement. Le fait déclencheur des tontes n'est pas forcément la « collaboration horizontale » ou la dénonciation de résistants mais la proximité professionnelle avec l'occupant. Les femmes qui passent en jugement doivent répondre de leur vie sexuelle antérieure à la guerre. Toute liberté prise avec la morale traditionnelle induit une culpabilité ultérieure. Il y a donc un lien direct entre les tontes et la reprise en main symbolique des femmes à la Libération.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Alain Brossat, Les tondues, un carnaval moche, 1944-1945, Paris, Manya, 1992, réed. Pluriel, 1994, 2008.

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-47). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.

Sylvie Orsoni, La Libération du coté des femmes, Dossier pédagogique n° 8, Archives départementales des Bouches-du-Rhone.

Fabrice Virgili, La France « virile », Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, 2000.