"La Délégation générale"

Désigné le 24 décembre 1941 par le général de Gaulle comme son représentant personnel et comme "Délégué du Comité national pour la zone non directement occupée de la métropole", Jean Moulin (Rex) fut parachuté en Provence dans la nuit du 1er au 2 janvier 1942. Pendant plus de sept mois, il fut quasiment à lui tout seul ce qui allait par la suite prendre le nom de "Délégation générale". En effet, si Moulin put créer très vite deux services politiques communs aux trois principaux mouvements de résistance de la zone libre, une agence de presse (BIP, avril 1942) et un "Comité des experts" (futur CGE, début juillet 1942), ce n'est qu'en août 1942, peu après l'arrivée en France de Daniel Cordier et la mise sur pied d'un embryon de secrétariat, qu'un début de coordination put être véritablement envisagé. À l'automne 1942, tandis que son secrétariat s'étoffait lentement (une demi douzaine de personnes à cette époque), la Délégation générale naissante, qui était alors installée dans quelques bureaux loués à Lyon, fut renforcée par la création de deux services techniques : un service de transmission radio, Wireless Transmission (WT) et un Service des opérations aériennes et maritimes (SOAM). Progressivement, elle prit en charge sa mission d'intermédiaire entre les mouvements de résistance et la France combattante, se chargeant de l'acheminement d'instructions, d'agents, de finances et d'armes à l'intention de la Résistance intérieure, et de l'envoi à Londres de courriers et de renseignements, voire de personnalités politiques et/ou résistantes.

De retour en France le 20 mars 1943 après un aller et retour de quelques semaines à Londres, devenu "le seul représentant permanent du général de Gaulle et du Comité national pour l'ensemble du territoire métropolitain", et de surcroît chargé de créer le Conseil de la Résistance, Jean Moulin prit la décision d'installer la Délégation générale à Paris. Il dépêcha son secrétaire Daniel Cordier dans la capitale pour présider au transfert des différents services. Au terme d'un dur printemps de négociations et de dissensions, printemps qui vit néanmoins la naissance du CNR, la Délégation générale subit deux coups terribles avec l'arrestation du chef de l'Armée secrète, le général Delestraint, à Paris (9 juin 1943), puis celle de Jean Moulin à Caluire (21 juin 1943). Tout récemment arrivé en France pour assumer auprès de Moulin les fonctions de Délégué pour la zone Nord, Claude Bouchinet-Serreulles assuma de fait l'intérim de la Délégation générale pour la France entière du 21 juin à la mi-août, affrontant notamment la formation du Comité central des mouvements de Résistance (CCMR). Le 15 août 1943, Jacques Bingen arriva d'Angleterre comme Délégué du CFLN pour la zone Sud. C'est lui qui paracheva le rapatriement des instances lyonnaises de la Délégation à Paris. Par prudence, il conserva néanmoins une antenne du secrétariat à Lyon. Jusqu'à la fin septembre 1943, la Délégation générale fut encore renforcée par l'envoi de plusieurs chargés de mission : Francis-Louis Closon et Émile Laffon (préparation administrative de la libération), Jacques Maillet (questions économiques), José Aboulker (enjeux médicaux et sanitaires), Jean-Louis Fraval (problèmes de la jeunesse), ou encore Yvon Morandat.

Le 1er septembre 1943, plus de deux mois après la chute de Jean Moulin, le général de Gaulle finit par donner à ce dernier un successeur à la tête de la Délégation générale en la personne du préfet Émile Bollaert. Pierre Brossolette fut alors envoyé en mission en France pour installer le nouveau Délégué dans ses fonctions. L'automne 1943 fut particulièrement houleux. Il débuta par un nouveau coup dur. Le 25 septembre en effet, le secrétariat de la Délégation générale fut arrêté et une partie des archives saisies. Durant les semaines qui suivirent, partagée entre le tandem Bingen-Bouchinet-Serreulles, d'un côté, et le binôme Bollaert–Brossolette, de l'autre, la Délégation fut sérieusement désunie et, en pratique, quasiment dédoublée. À partir de la fin de l'année 1943, alors qu'Émile Bollaert tentait de gagner l'Angleterre en compagnie de Pierre Brossolette, et a fortiori après l'arrestation des deux hommes au début du mois de février 1944, Jacques Bingen assuma seul l'intérim à la tête de la Délégation générale. Fin mars, il remit les clefs de celle-ci au nouveau Délégué général, Alexandre Parodi, et se replia sur la Délégation de zone Sud. Dans le même temps, Roland Pré devint le Délégué civil pour la zone Nord, en remplacement de Claude Bouchinet-Serreulles qui avait pu rejoindre l'Angleterre. Après l'arrestation de Bingen, le 12 mai 1944, et un cours intérim de Jacques Baumel, Jacques Maillet devint quant à lui Délégué civil pour la zone Sud.

Ce fut avec Alexandre Parodi que la Délégation générale du CFLN prit sa structure définitive. Progressivement, elle intégra le Délégué militaire national (DMN) en son sein, et avec lui le lien avec les Délégués militaires de zone (DMZ) ainsi que les Délégués militaires régionaux (DMR). Ainsi, à l'été 1944, la Délégation générale était devenue la représentation aussi bien civile que militaire du CFLN. Lui étaient alors rattachés le BIP, le CGE, l'AS, le Bureau des opérations aériennes (zone Nord), le Centre des Opérations de parachutages et d'atterrissages (zone Sud). En prenant en compte son secrétariat et celui du CNR, le DMN et ses collaborateurs, les officiers de liaison, les radios, ainsi qu'une petite équipe de saboteurs, ses effectifs représentaient une quarantaine de personnes. Elle se trouvait au cœur d'un maillage complexe, qui faisait notamment intervenir le BCRA et le CNI, à Londres et Alger, ainsi que, en France, le CNR, le Comité directeur des MUR et le CCZN.
À partir de la fin de l'année 1943, les principales difficultés que rencontrèrent Jacques Bingen, Alexandre Parodi et les Délégués militaires successifs provinrent moins des responsables de mouvements de la Résistance intérieure que du Parti communiste, de l'ORA et, dans certains cas, du CNR. En dépit de ces obstacles, de la répression, du manque perpétuel de moyens matériels et financiers, et de la nécessité dans laquelle elle se trouvait presque toujours d'improviser au dernier moment, la Délégation générale accomplit une œuvre remarquable entre l'été 1943 et l'été 1944. Avec l'appui des organisations de résistance et du CNR, elle mit progressivement en place les cadres d'un État clandestin capable à la libération de prendre en charge les fonctions régaliennes tout en évitant les débordements à caractère plus ou moins révolutionnaire qui risquaient de survenir à la faveur de la période insurrectionnelle. Des préfets, des commissaires de la République et des secrétaires généraux, qui devaient, avant l'arrivée du GPRF, prendre les commandes des ministères, furent ainsi désignés et petit à petit installés. Sur l'ensemble du territoire, département par département, des comités départementaux de la libération (CDL) furent constitués ; placés sous les ordres des commissaires de la République, ces comités devaient coordonner "l'action immédiate "dans le département, y diriger l'insurrection, et représenter la population auprès des autorités. Par le truchement du DMN, des DMZ et des DMR, l'unification militaire fut parachevée ; entre la fin décembre 1943 et la fin février 1944 les Forces françaises de l'intérieur (FFI), produit de la fusion de l'AS, de l'ORA, des FTP ainsi que d'un certain nombre de plus petits groupes isolés, furent ainsi organisées. Des organismes tels que, par exemple, le Comité d'action contre la déportation (CAD), le Comité des œuvres sociales de la résistance (COSOR), la Commission du ravitaillement furent constitués ou réorganisés. De nouvelles modalités de financement de la Résistance furent mises en place via le Comité financier de la Résistance (COFI). Enfin, du jour "J" à l'installation du GPRF à Paris, la Délégation générale fut le très remarquable relais du pouvoir algérois, jouant le rôle essentiel d'agence d'informations, parvenant à empêcher le déclenchement trop précoce de l'insurrection parisienne, évitant les bains de sang une fois celle-ci déclenchée, s'emparant souvent sans coup férir des rênes du pouvoir au moment du retrait des Allemands.

Au final, de juin 1943 à août 1944, si fragile qu'elle ait été par moments, la Délégation générale parvint à contrôler les velléités d'autonomie manifestées par la Résistance intérieure. Mieux encore, elle réussit, à la faveur de la Libération, à s'imposer comme l'incarnation de l'État. En un peu plus d'une année, et quelles qu'aient pu être les transactions et concessions consenties, l'œuvre ainsi accomplie tint indubitablement de la prouesse.

Source(s) :

Guillaume Piketty, in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.

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