Les cibles du groupe franc de Nice de l’OJC

Légende :

Plan schématique des lieux de l'assassinat de Georges Karakaïeff le 23 mai 1944 à Nice.

Genre : Image

Type : Plan

Source : © AD Alpes-Maritimes, 1060W476 Droits réservés

Date document : 23 mai 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Alpes-Maritimes - Nice

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Contexte historique

Au printemps 1944, le groupe franc de Nice de l’Organisation juive de combat (OJC) dirigé par Henri Pohorylès entre en action contre les collaborateurs, auxiliaires de la Gestapo et dénonciateurs de Juifs. Un service de renseignement chargé de constituer un fichier des traîtres à éliminer est mis en place. Les jeunes filles du groupe sont chargés de filer les indicateurs, repérer leurs demeures ou les lieux de rendez-vous.

La première cible du groupe est un Russe blanc du nom de Serge Mojaroff. Né le 1er mai 1894 à Tamboff (Russie), résidant en France depuis 1921, Mojaroff est garagiste à Nice lorsque la guerre éclate. Une fiche du BCRAL, les services de renseignements de la France libre, datée du 15 mars 1944 le signale comme auxiliaire de la Gestapo de l’hôtel l’Hermitage à Nice. Une autre fiche à son nom rapporte qu’il "s’est vanté de travailler pour la Gestapo. Aurait plusieurs arrestations de Juifs à son actif". Selon un rapport de l’antenne de Nice de la DGER du 28 février 1945, Serge Mojaroff était également "un des chefs de l’Hôtel Excelsior à Nice où étaient conduits dès leur arrestation les Juifs appréhendé (…). Mojaroff s’est vanté lui-même en son temps d’avoir participé à près de 250 arrestations".
En mars 1944, le groupe niçois de l’OJC entreprend une filature en vue de l’abattre. Le commando comprend notamment Marc Levy, chargé de la surveillance, Ernest Appenzeller et Isidore Pohorylès –le frère d’Henri- chargé de l’exécution. Ce dernier raconte : "Mojaroff n’est pas mort, car notre tir trop rapide avait manqué de précision. Mais nous avons appris qu’il avait été atteint dans ses parties vives. Ses blessures étaient très graves, et il n’a jamais pu reprendre ses activités. Nous ignorons d’ailleurs ce qu’il est devenu. En tout cas, il ne pouvait plus dénoncer de Juifs". En effet, blessé lors de l’attentat, Mojaroff est soigné par les Allemands. A la Libération, il tente de s’infiltrer dans les milieux américains à Grasse où il s’est retiré, vraisemblablement parce que son passé sous l’Occupation n’était pas connu dans cette ville. Il est tout de même arrêté puis relâché rapidement faute d’éléments à son encontre à ce moment-là. Il quitte aussitôt la région et trouve refuge à Paris dans les milieux russes.

Le 17 mai 1944, vers 19h30, Ferdinand Paolantini, membre de la Milice française, est victime d’un attentat. Alors qu’il est occupé à réparer un appareil dans son atelier situé au 4 rue Molière à Nice, un individu pénètre dans son établissement et tire quatre coups de feu dans sa direction avant de prendre la fuite en vélo. Transporté dans un état grave à l’hôpital Saint-Roch – il est atteint aux deux cuisses et au bras droit - Paolantini est opéré en urgence. Même s’il se vantait d’appartenir à la Milice, le rôle de Paolantini se limitait à la mise en place des installations sonores et électriques à l’occasion des réunions et meetings donnés par cette organisation. Cependant, l’enquête menée à la suite de l’attentat a révélé que Paolantini avait dénoncé aux Allemands des Juifs dissimulés à Saint-Martin-Vésubie, où ses parents habitaient. Quelques temps après, de retour à Nice, il a reçu une lettre contenant un papillon représentant la photo de De Gaulle avec l’inscription manuscrite "Votre juge – Fiche classé". A plusieurs reprises, il s’est senti surveillé. Un jour, deux cyclistes passant devant son magasin, chuchotèrent "C’est là qu’il est". Une autre fois, c’est son oncle qui entend "Tu vois celui-là, c’est un milicien. Son compte sera fait". Cette "affaire Paolantini" est citée dans un rapport manuscrit non daté dressant un bilan de l’action de l’Armée juive dans les Alpes-Maritimes : "Affaire Paolantini. Chef milicien Saint-Martin-Vésubie, nombreuses arrestations à son actif. Deux tentatives sans succès, la 3e le 17-5-44. 3 balles. Blessures graves. Encore actuellement à l’hôpital".

Le 23 mai 1944, c’est un autre Russe blanc, Georges Karakaieff, qui est victime d’un attentat. Le rapport d’enquête relate les faits : "Le 23 mai 1944, au début de l’après-midi, un réfugié russe, Georges Karakaïeff, demeurant à Nice, 48 rue Rossini, grimpait le chemin de Bellet en compagnie d’une femme inconnue. Tous deux allaient à pied, poussant chacun leur bicyclette à la main. Arrivés à hauteur du n°44, ils sont rejoints par un jeune cycliste qui fait feu sur Karakaïeff pendant que sa compagne prend la fuite. La victime tombe foudroyée et l’assassin s’enfuit dans les mêmes conditions que la femme inconnue". Né le 4 décembre 1900 à Moscou, fils d’un général de l’armée tasriste, Karakaïeff est sous-lieutenant de l’armée impériale lorsque la révolution de 1917 le contraint à l’exil. Arrivé en France en 1920, il s’installe à Montpellier puis s’engage pour 5 ans dans la Légion étrangère. A son retour, il exerce divers métiers, représentant en vins, chauffeur-mécanicien, barman… A l’été 1942, il signe un contrat de travail pour l’Allemagne. Il est de retour à Nice au printemps 1943. Antibolchevique de par son histoire familiale et férocement antisémite, il rejoint le Parti populaire française (PPF) et se met au service des Allemands. Il ne cache à personne ses activités ; tant et si bien que fin mars 1944, il trouve dans sa boîte aux lettres un cercueil miniature. Se sentant traqué, il s’enferme chez lui et prend de multiples précautions lors de ses déplacements. C’est son attirance pour les femmes qui finit par le trahir. Ainsi le rapport de police émet l’hypothèse : "La présence de cette femme, et surtout les circonstances de sa fuite, portent à penser qu’elle a pu jouer un rôle dans cet assassinat, attirer la victime dans le guet-apens". En effet, Annette Zyman, membre de l’OJC, a réussi à établir un contact avec Karakaïeff et parvient à gagner sa confiance. Un guet-apens est mis en place. Alors que Karakaïeff accompagne Annette Zyman pour une promenade, Robert l’Arménien arrive à leur hauteur en vélo et tire trois coups de revolver contre le dénonciateur qui s’effondre. Ce fait d’armes est relaté dans les différents ouvrages évoquant les actions de l’OJC à Nice.

Le 5 juin 1944, place Franklin, la boutique d’un antiquaire, collaborateur notoire, est détruite par un engin explosif déposé par Isidore Pohorylès et Annette Zyman.

Selon le rapport d’activité cité précédemment dressant le bilan de l’AJ dans les Alpes-Maritimes, à la fin juin 1944, le fichier dressé par l’organisation en vue d’identifier les collaborateurs, miliciens, gestapistes, contenait environ 460 fiches.


Auteur : Fabrice Bourrée

Sources et bibliographie :
Archives nationales : 19870802/11/2.
Service historique de la Défense, Vincennes : GR 28P9 / 2063 (Serge Mojaroff).
Mémorial de la Shoah, Paris : CDLXIX-38.
Mémorial de la Shoah, Paris : DLXI-107 Témoignage d'Annette Zyman.
Archives départementales des Alpes-Maritimes : 1060W476.

Anny Latour, La Résistance juive en France, Paris, Stock, 1970.
David Knout, Contribution à l’histoire de la Résistance juive, Paris, Ed. du Centre, 1947.