L’ouverture du puits de Fons

Légende :

Photographie prise lors des travaux d’exhumation des corps du puits de Fons ,« septembre-octobre 1959 ».
Pièce extraite du dossier du service régional d’Identité judiciaire de Montpellier. 

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © AD Ardèche 72 W 628 (dossier sur l’affaire du puits de Fons) Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique en noir et blanc

Date document : Septembre 1959

Lieu : France

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Analyse média

Il s’agit d’une pièce du dossier présenté par l’Inspecteur d’Identité Judiciaire de Montpellier, Pierre Goubert, dans un rapport, concernant l’exhumation des corps ensevelis dans le puits de Fons, rédigé le 15 octobre 1959 pour le Préfet de l’Ardèche. La photographie présente l’état des lieux lors des travaux préparatoires qui se prolongent du 21 au 28 septembre 1959, avant la remontée des restes macabres (du 28 septembre au 6 octobre suivant).
Au premier plan, la cavité du puits avec à gauche une stèle élevée depuis peu, en 1958, par les familles de personnes exécutées, le terrain environnant ayant été acquis en novembre 1955, par le fils de l’une d’entre-elles. Au second plan, l’équipe de l’entreprise Gleyzal, chargée des travaux préparatoires.


Auteur : Jean-Louis Issartel

Bibliographie :
Jacques Deydier, « Le puits des fusillés », une famille dans la tourmente (août 2021)

Contexte historique

La scène se déroule alors que, depuis l’ordonnance de non-lieu du 18 juin 1955, les familles de 3 personnes exécutées, et précipitées d’après l’enquête dans le puits de Fons, n’ont cessé de réclamer l’exhumation des corps. C’est alors à qui s’était renvoyé la balle entre les différents organismes de l’Etat : le coût des opérations étant élevé, et le ministère des Anciens Combattants déclarant ne pas avoir les crédits nécessaires avait précisé dans un courrier du 27 juillet 1955 adressé au ministère de l’Intérieur : « au surplus, il n’est nullement établi que les corps de militaires se trouvent dans ce puits; il est même probable qu’il s’agisse de restes mortels de personnes civiles considérées comme étant des collaborateurs ». Pour le ministère des Anciens combattants, c’était à l’autorité judiciaire chargée de l’affaire de vérifier le contenu du charnier. Mais le 13 août suivant, le Préfet Jeanjean avait répondu : « Cette affaire n’a pas été traitée par les autorités judiciaires qui n’en ont jamais été saisies, mais par M. le Commandant Guillani au Tribunal militaire de Lyon, chargé de l’information, et qui ne m’a jamais tenu informé de la procédure ». Phrase lapidaire qui laisse paraître pour le moins l’existence d’une tension entre le Préfet et le juge d’instruction du Tribunal Militaire.

Rien ne bougeait.

Il faut attendre 1959, pour que l’exhumation des corps soit réalisée, et ce à la demande (et grâce au financement) du Service d’entretien des sépultures allemandes en France, des soldats de l’ancien Reich figurant de façon présumée parmi les corps précipités dans le gouffre. L’opération dure du 28 septembre au 6 octobre 1959 en présence de Clément Pawlik, chef de groupe du service d’entretien des tombes allemandes en France, accompagné de deux identificateurs allemands. Sont aussi présents Abel Bousquet, officier de police de la SRPJ de Montpellier avec deux inspecteurs de l’identité judiciaire et Henri Mary, délégué par le ministère des Anciens Combattants. L’entreprise Gleyzal de Vals a été mobilisée et une grue a été amenée sur place après l’installation d’une ligne électrique et d’un circuit d’aération. Dans son rapport du 8 octobre, Abel Bousquet déclare que « l’exploration du puits n’a cessé que lorsque les identificateurs ont eu la certitude d’avoir atteint le fond du puit qui a accusé alors une profondeur de 36 mètres. » Le 1er jour « 4 m3 de pierres et de terre ont été enlevés avant que soit atteint le 1er corps ». Au total, environ 18 m3 de déblais ont été retirés, dont des blocs de plus de 60 kg. Les restes de 34 corps ont été dégagés, mais… « disloqués, les membres brisés et éparpillés de sorte que toute reconstitution de squelette a été rendue impossible ». Aucune identification de corps n’a pu être faite. Par contre, parmi les objets trouvés, certains « ont été reconnus pour appartenir à des militaires allemands. L’origine d’un certain nombre est demeurée douteuse. Enfin d’autres ont été identifiés d’origine française ». Mais le rapport n’en dit pas plus sur les personnes à qui ils appartenaient.

L’opération terminée, « après que les identificateurs aient eu la certitude d’avoir atteint le fond du puits qui a accusé à ce moment une profondeur de 36 m » l’ouverture de la cavité est obturée. Quant aux restes des corps, ils sont inhumés collectivement dans une fosse commune au cimetière de Fons le 7 octobre 1959.
Un rapport des renseignements généraux du 24 septembre, note que l’annonce de l’exhumation des corps du puits de Fons n’a pas réveillé la campagne de presse du début des années 50, et que « le temps a guéri bien des ressentiments… 15 ans après les faits ». La guerre froide, le rapprochement, amorcé depuis le début des années 1950 avec l’Allemagne fédérale, avaient tissé un voile pudique sur le dernier conflit.

Toutefois, le 20 septembre 1961, le ministre des Anciens Combattants, sollicité par le Service d’entretien des sépultures militaires allemandes en France désireux que les noms des soldats allemands identifiés soient inscrits sur une plaque, propose, « afin d’éviter de nouvelles réactions de la population », que soit apposée sur la tombe collective l’inscription suivante : « Ici reposent des Français et des Allemands victimes de la guerre 39-45 ».

Consulté, le préfet de l’Ardèche. Pierre Hosteing, donne son approbation dans son courrier du 20 octobre 1961.
Exécutés dans le contexte des combats de la Libération, anciens miliciens, collaborateurs ou soldats allemands auteurs des pires violences sont ainsi devenus victimes de la guerre. Bien sûr, la formule a le mérite de vouloir apaiser les esprits et peut s’appliquer au cas de certaines personnes condamnées par erreur ou pour des raisons qui peuvent interpeller...

Ainsi la légende noire de la Résistance, construite autour de l’affaire du puits de Fons part d’éléments réels, des exécutions commises par des résistants, faisant suite ou non à des jugements pris par une cour martiale mise en place pendant l’insurrection, ici d’abord à Rochemure puis à Joannas, dans le contexte de combats acharnés (combat contre une colonne allemande début juin sur la route du col de l’Escrinet, puis contre des Allemands et miliciens à Vals vers la mi-juin…, bataille du Cheylard début juillet 1944, combats de Banne de la fin juillet, actions de guérilla dans la vallée du Rhône en juillet-août, violents accrochages à Vallon, Vogüé, Lavilledieu et dans le Coiron à la fin août 1944…) et surtout dans le contexte d’exactions multiples commises aussi bien par les troupes d’occupation en repli que par les forces répressives de Vichy. En effet, l’ordre du commandant en chef des troupes allemandes sur le front de l’Ouest, contresigné par le général Sperle le 3 février 1944, complété le 8 juin de la même année, appelait à une répression impitoyable contre les actes qualifiés de terroristes menés par les résistants. Ces derniers n’étaient pas considérés comme des militaires en opération, mais comme des bandits et étaient destinés à être immédiatement fusillés, ainsi que les populations soupçonnées de complicité. Partout sur le passage des troupes nazies, ce ne sont que réquisitions, destructions, viols, fusillades d’otages ou de résistants… Aux exécutions (systématiques) de maquisards, ceux-ci répondent parfois par des exécutions de soldats allemands, surtout lorsqu’ils font partie d’unités rendues tristement célèbres par les violences auxquelles elles s’étaient livrées (comme la colonne Steuber lors de sa retraite sanglante depuis Rodez avec notamment l’exécution de 30 résistants à Sainte-Radegonde dans l’Aveyron, et de nombreuses exactions dans le sud de l’Ardèche avant sa capitulation en deux temps, à Chomérac le 31 août, et à Rompon le 1er septembre)… Quant aux miliciens, le CDL ardéchois avait, dès janvier 1944 diffusé un avis aux miliciens et collaborateurs qu’ils seraient systématiquement passés par les armes s’ils continuaient à servir la cause nazie (AD 07 70 j 12-26), ordre transmis aussi par Londres le 6 juin 1944….

Ceci ne doit pas occulter le fait que les Allemands faits prisonniers ont été dans leur immense majorité considérés comme prisonniers de guerre traités comme tels, avec les moyens, dérisoires, dont disposaient les résistants. De même les personnes arrêtées par suspicion étaient emprisonnées avant de subir un interrogatoire et la recherche de preuves établissant leur culpabilité éventuelle. Elles n’étaient, faute de preuves ou de traduction devant un tribunal, maintenues en détention que provisoirement, par souci de sécurité nationale.

Mais à partir de faits réels, la campagne de presse du début 1950 a nourri beaucoup de récits fantasmés, même si, comme dans hélas beaucoup d’actes de guerre, des comportements individuels de violences ont pu être commis, nourris par une haine, certes légitime au vu des exactions nazies, mais souvent mauvaise conseillère. Dans ce contexte, la part de règlements de comptes, comme dans beaucoup de périodes de guerre, peut être envisagée, mais dans quelle mesure ? La plupart des personnes précipitées dans le puits de Fons, dont on peut suivre la trace, ont été impliquées soit dans des crimes, soit dans la collaboration.

D’une part, les exhumations de 1959 ont montré l’inconsistance des chiffres avancés par le Méridional en 1950 (215 corps dans le puits de Fons alors que l’exhumation de 1959 en a révélé 34). De même, le chiffre de 800 victimes de la répression résistante, avancés par les titres de la légende noire en Ardèche, est fortement exagéré : l’enquête minutieuse du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale retient (non compris les exécutions de soldats allemands pendant la période des combats) celui de 255 exécutions essentiellement des miliciens ou des collaborateurs mais aussi 22 FFI et 3 civils passés par les armes pour pillages ou exactions diverses (1): les tribunaux militaires installés dans l’urgence, veillaient aussi au respect de la discipline et de la bonne conduite dans les rangs de la Résistance, et tentaient de maintenir un semblant d’ordre alors que les structures de l’Etat vichyste s’effondraient et que les nouvelles institutions mises en place après la Libération n’étaient pas encore opérationnelles. C’est aussi au cours de cette période que les résistants, tout en combattant l’occupant et ses complices, organisaient autant qu’ils pouvaient le ravitaillement, apportaient un secours aux populations victimes des bombardements ou des atrocités nazies, rétablissaient les libertés abolies sous Vichy, supprimaient les lois racistes…

Enfin, la légende noire, on l’a vu, met particulièrement en cause les républicains espagnols et les FTPF, visant ainsi les communistes. Or, les éléments de l’enquête menée autour du puits de Fons montrent que d’une part la zone concernée relevait du secteur D de l’AS et que les républicains espagnols n’ont pas joué un rôle essentiel dans la répression résistante : la composition de sa cour martiale comprenait surtout des officiers de l’AS et même d’active. Certes, à partir d’août, ce sont les FTPF qui avaient les commandes, après le ralliement de plusieurs compagnies de l’AS de ce secteur, mais les exécutions avaient commencé dès juin, et les officiers de l’AS ne se montraient pas plus indulgents que leurs collègues FTPF. D’ailleurs par la suite, la Résistance, malgré les divisions de la guerre froide, fit front commun pour dénoncer la campagne menée par le Méridional.

(1) A propos de ce chiffre 255 exécutions, Raoul Galataud archiviste du musée de la Résistance en Ardèche, indique dans une note du 10 juillet 1996 (ADA 70 J 60-29) qu’il semblerait que « les FTP du Gard aient utilisé le réduit de Valgorge comme siège d’un tribunal militaire, ce qui alourdit le nombre d’exécutions sommaires attribué aux FFI de l’Ardèche », une part de celles-ci relevant de la responsabilité des FFI du Gard…


Auteur : Jean-Louis Issartel

Sources :
AD Ardèche 72 W 628 (dossier sur l’affaire de Fons, instructions, enquêtes, articles de presse, correspondance du préfet...) ; 72 W 625 (documents sur la répression résistante) ; 87 W 5 (dossier du CHGM), 70 J 12 à 26 (Fonds du musée de la Résistance en Ardèche et de la Déportation, délibérations du CDL)
Michel Bancilhon, « un Ardéchois dans la tourmente » (manuscrit)

Bibliographie :
Sylvain Villard, L’oubli ou la face douloureuse de la Résistance en Ardèche, 2007
François Rouquet et Fabrice Virgili, Les Françaises, les Français et l’épuration, Folio Gallimard, 2018.