L’enquête policière dans l’affaire du puits de Fons

Légende :

Coupure de presse tirée du journal Le Méridional du 25 février 1951

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © AD Ardèche : 72 W 628 (dossier sur l’affaire du puits de Fons) Droits réservés

Date document : 25 février 1951

Lieu : France

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Analyse média

Le document fait partie du dossier déposé aux Archives départementales de l’Ardèche à propos de l’affaire du puits de Fons. Il s’agit de la coupure d’un article paru dans Le Méridional du 25 février 1951 comme l’indique la mention manuscrite portée sur la feuille où cette coupure est collée. Gabriel Domenech, auteur de l’article, a été à l’initiative d’une campagne de presse menée depuis la fin 1950, contre les auteurs d’exécutions commises pendant l’insurrection au cours de l’été 1944, les personnes exécutées étant précipitées dans un ancien puits de mine, le puits de Fons (voir notice « l’affaire du puits de Fons, la campagne de presse »). Dans son article, Gabriel Domenech se félicite d’avoir provoqué la relance de l’enquête policière, confiée à la 14ème brigade mobile du SRPJ de Montpellier, sur commission rogatoire du Tribunal militaire de Lyon. Effectivement, les enquêteurs enregistrent de nombreuses dépositions à partir du 1er mars 1951.


Contexte historique

L’enquête policière

En fait, suite à une plainte déposée par la veuve d’Honoré Laurent exécuté le 10 juillet 1944, en pleine période des combats de la Libération, en application d’un jugement d’une cour martiale FFI au château de Logères à Joannas, le capitaine Henri Giuliani, juge d’instruction au Tribunal militaire de Lyon, avait lancé une commission rogatoire dès le 15 mars 1949. Les textes en vigueur protégeant les anciens résistants pour leurs actes commis pour la libération de la France, il fallait pour que l’enquête débouche sur un procès, démontrer que les faits commis n’avaient rien à voir avec la lutte patriotique. Le 7 avril 1949, le commissaire de police chargé de l’enquête confirmait dans son rapport envoyé au commissaire divisionnaire du SRPJ de Montpellier l’exécution dudit Laurent et de trois autres prisonniers par des éléments du maquis ardéchois. Leurs corps auraient été jetés dans le puits de Fons. En septembre 1949, le commissaire Sigaud s’était rendu sur les lieux, et dans un rapport du 1er octobre, il indiquait les moyens techniques et le matériel à employer pour explorer le puits profond de 45 mètres selon lui... Une première exploration avait été organisée en juin 1950 avec le concours de l’entreprise Gleyzal de Vals-les-Bains. La visite n’avait rien donné, mais le fond ne serait plus qu’à 38 mètres, ce qui laissait supposer que des éboulements naturels ou non, avaient eu lieu depuis septembre 1949. Dans son rapport du 11 juillet 1950, le commissaire de police, Georges Fuilla, soulignait les difficultés matérielles prévisibles d’une part pour extraire les éboulis récents et d’autre part pour identifier les corps (le commissaire évoquait la présence probable de prisonniers allemands à côté de Françaises et de Français) six ans après les faits. A l’issue de l’exploration, sur ordre du préfet Aimé Jeanjean, l’ouverture du puits était bouchée pour empêcher l’introduction de tous objets volumineux.

L’enquête semblait piétiner, quand l’article paru dans le Méridional le 15 décembre 1950 relance une campagne qui depuis 1948 avec la publication du livre de Mauloy, Les nouveaux saigneurs, n’avait cessé d’être entretenue par la presse de droite et d’extrême droite, alors que des procès en réhabilitation blanchissaient certains condamnés de l’épuration.

Le juge d’instruction Henri Giuliani lance le 20 février 1951 une nouvelle commission rogatoire à partir des « révélations » de Gabriel Domenech (lesquelles reprennent les assertions de Mauloy, presque mot pour mot). Le commissaire Georges Fuilla et l’inspecteur de police François Laurent se chargent des auditions qui s’étalent du 1er mars au 5 avril 1951, alors que la campagne de presse bat son plein. Le secret de l’instruction n’est guère respecté, les journaux de la « légende noire » relayant largement les déclarations des témoins à charge contre la Résistance. En tout 71 personnes sont entendues, la plupart proches des exécuté(e)s. Les archives départementales de l’Ardèche (72 W 628) n’ont conservé que 58 procès-verbaux dont seulement 18 d’anciens résistants. L’enquête ne se limite pas à l’affaire du puits de Fons. Elle s’intéresse aussi aux exécutions commises dans la région d’Antraïgues. Dans son rapport rédigé le 30 juin 1951, le commissaire Fuilla rend ses conclusions, commettant toutefois des erreurs dans la numérotation des procès-verbaux, et privilégiant surtout les dépositions à charge. En tout, 35 corps se retrouveraient dans le puits de Fons, et une soixantaine au charnier d’Arlix près de Vals les Bains, dont ceux de 54 soldats allemands faisant partie de la colonne Steuber qui avait commis des atrocités sur son passage de l’Hérault à l’Ardèche ; et une soixantaine aussi à Antraïgues dont la moitié de soldats allemands. Sur l’affaire du puits de Fons proprement dite, le commissaire fait part de sévices commis sur 9 prisonniers à Rochemure à Ailhon et au château de Logères à Joannas, confirmés par plusieurs dépositions mais non sans nuances et contradictions. Brutalités ou tortures auraient été aussi commises sur certains détenus à Antraïgues, mais le rapport du commissaire reste très vague sur cette question, sollicitant des compléments d’enquête. Le rapport ne mentionne pas certaines allégations de la presse comme la présence d’enfants des écoles aux exécutions, et ne semble pas cautionner la présence de plus de 200 cadavres dans le puits de Fons. Quant aux officiers de la cour martiale, le rapport cite pour ce qui concerne les exécutions à Joannas et le puits de Fons, le commandant Bernard (Michel Bancilhon) responsable du secteur D de l’AS, présidant la cour martiale en juin-juillet 1944 (installée d’abord à Rochemure sur la commune d’Ailhon, puis, à partir du 5 juillet, au château de Logères à Joannas) avant (note de l’auteur) son ralliement avec 9 compagnies de son secteur aux FTPF le 3 août. Sous ses ordres, le « commandant Richard » (André Bourdin) ancien officier de marine, chef du 2ème bureau, plus directement impliqué dans la conduite des interrogatoires et des sentences lequel, (note de l’auteur), dirige ensuite à partir du 17 juillet et en août, pour le compte de l’AS, avec pour adjoint, le « lieutenant Dick », (Jean Arnaud) des FTPF, une autre cour martiale, celle d’Antraïgues, mise en place après l’unification en Ardèche des forces résistantes FFI, sous le commandement de Calloud (AS). Ce dernier a pour second, « Ravel », (Auguste Ollier) (FTPF). Le « capitaine Alexandre » (Joseph Mondon) des FTPF est plutôt aux commandes en août au château de Logères à Joannas. Figurent aussi d’autres membres comme le commandant Saint Opportune, officier de carrière, le « capitaine Pierre » (Jaboulet ou Jacoulet), le capitaine Fauveau (qui refusant le ralliement du secteur D de l’AS aux FTPF quitte le secteur avec les unités AS qui partagent son refus et reconstitue en août le secteur D de l’AS depuis Villeneuve-de-Berg)… Les interrogatoires préalables sont souvent menés par un inspecteur de police.

Dans sa conclusion, le commissaire Fuilla déclare regretter que « les maquisards intéressés n’aient pas cru devoir apporter…d’explications ou de justifications ». De fait, sur les 18 procès-verbaux enregistrant leurs dépositions, un seul, celui de Maurice Chavent, largement médiatisé par la campagne de presse mobilisée sur l’affaire du puits de Fons, alimente la version de sévices commis sur les prisonniers et celle de corps précipités dans le gouffre. Ancien résistant d’abord à l’AS, puis se disant ensuite FTP (il figure en effet comme agent de liaison dans les effectifs de la 7120ème Cie) son témoignage est accablant. Mais il est entaché d’erreurs ou de contre-vérités manifestes, lorsqu’il soutient par exemple qu’« aucune exécution n’a eu lieu avant la mi-juin, époque à laquelle le camp est passé sous le commandement FTP », en faisant porter la responsabilité sur les seuls FTP, alors que la scission au sein du secteur D de l’AS ne se produit qu’au début août, et que les sentences de la cour martiale suivies de châtiments avaient débuté effectivement à partir de la mi-juin, sous commandement AS (de même que des cas de violences sur certains prisonniers, si on en croit les dépositions à charge de quelques personnes). Quant aux 17 autres P.V. de résistants, 5 ne figurent pas dans le dossier des archives départementales consacré à l’affaire, et pour les 12 autres, si certains confirment l’existence d’exécutions, aucun ne reconnaît la pratique de tortures.

La déposition de Michel Bancilhon est brève : il n’a rien à ajouter à celle faite en 1949 lors de la première enquête (laquelle ne figure pas dans le dossier) où il avait déclaré ignorer l’existence du puits. Sa ligne de défense : les personnes exécutées l’ont été après avoir été jugées par une cour martiale. Les procès-verbaux des sentences ont été conservés et remis par lui-même à l’Etat-major FFI de Vals les Bains le 5 octobre 1945. De Vals ils furent transférés à Privas puis, selon le commissaire spécial de Privas, remis ensuite à la subdivision militaire de Saint-Etienne, où ils auraient disparu…

Notons à propos des « cours martiales » ou « tribunaux militaires » statuant pendant la période insurrectionnelle, qu’ils se créent dans l’urgence, sous l’autorité des FFI, avant que le GPRF d’Alger ne prévoit, par une ordonnance du 26 juin 1944, la mise en place d’une cour martiale par département (mais installée de façon brève après la Libération, celle de l’Ardèche n’eut pas le temps de fonctionner). C’est donc dans un cadre insurrectionnel, en pleine période de combats, que la cour martiale de Rochemure puis de Joannas, celle concernant le puits de Fons, fonctionne.

Lors de son intervention le 1er avril 1951 à Aubenas, Augustin Ollier (ex Commandant Ravel), donne sa version des faits en rappelant, que la résistance appliquait les ordres de Londres et Alger : effectivement à partir d’avril 1942, la BBC communique régulièrement des listes de collaborateurs à abattre, avec les faits reprochés. La punition des traîtres et l’épuration étaient une des priorités dans les consignes données aux organisations de résistance, et elles sont rappelées dans le programme du Conseil National de la Résistance qui demande de « veiller au châtiment des traîtres et à l’éviction dans le domaine de l’administration et de la vie professionnelle de tous ceux qui auront pactisé avec l’ennemi ou qui se seront associés activement à la politique des gouvernements de collaboration ». Pendant la période insurrectionnelle à partir du 6 juin 1944, ce sont les forces militaires de la Résistance qui, tout en combattant l’ennemi, sont chargées de « la punition des traîtres ». Dès le 8 juin, le noyau actif du CDL ardéchois prévoit dans chaque localité où un comité local de libération serait installé, la constitution d’un Tribunal militaire composé de chaque représentant de la Résistance à savoir, des Mouvements Unis de la Résistance, du Front National, de la CGT et du PCF avec un représentant de l’AS et un des FTP. Un compte-rendu devrait être envoyé au CDL. Mais la suite des événements donne aux militaires FFI le pouvoir véritable dans le domaine de la répression, une répression jugée indispensable non seulement pour punir les auteurs de faits criminels mais aussi pour prévenir les risques que faisaient encourir à la Résistance délateurs et collaborateurs : le 8 juin, le CDL avalise la « création d’un tribunal militaire constitué à la demande du CLL du Cheylard…. Chargé de juger les suspects en zone libérée » (AD 07 70 J 13). Le 12 juin, la commission insurrectionnelle du CDL (chargée des liaisons avec les FFI) « après avoir pris connaissance du jugement concernant les miliciens arrêtés dans la région du Cheylard, estime qu’en raison des faits relevés contre certains, ce jugement doit faire l’objet d’un appel » (AD 07 70 J 15). Sur cette requête le CDL constitue un conseil de guerre composé de deux délégués AS et de deux délégués FTP. Ainsi, se créent des tribunaux militaires, appelés parfois cours martiales qui répriment les menées collaborationnistes, ceci dans un contexte extrêmement mouvant où le commandement FFI doit se réorganiser après la bataille du Cheylard du début juillet… De façon presque spontanée apparaissent dès le mois de juin certaines cours martiales comme celle de Rochemure à Ailhon, s’appuyant sur une ordonnance du CFLN (Comité Français de Libération Nationale) du 6 juillet 1943 légitimant les « actes accomplis pour la libération de la France » et ordonnant le châtiment des personnes œuvrant pour l’ennemi.

Mais dans le contexte de l’époque, extrêmement mouvant, nous l’avons vu, les exécutions, semblent se faire parfois sans qu’il y ait eu véritables délibérations, ni procès-verbal de sentence bien établi. Pour l’ancien chef des FTP en Ardèche, lors de ses interventions du 30 mars et du 1er avril 1951, « les morts du puits de Fons ont eu le châtiment de leurs forfaits ». La plupart des exécutions se déroulent pendant la phase la plus aigüe des combats, en juillet-août 1944.

Enfin, Augustin Ollier considère, d’après le rapport de police, que le Tribunal militaire de Lyon n’a pas la compétence pour juger les actes de la Résistance : celui-ci inscrirait son action dans le droit fil de ministres qui « comme Queille ou Petsche ont voté pour Pétain ». Le 30 mars au meeting d’Annonay, toujours d’après un rapport de police, il avait récusé ce Tribunal « dont un seul de ses magistrats (avait) refusé de prêter allégeance à Vichy ».

Au final, le commissaire Fuilla termine son rapport du 30 juin 1951 sur des phrases sans concession tout en employant le conditionnel dans un premier temps, faute de preuves matérielles et face aux dénégations véhémentes des responsables de la Résistance. Mais l’indicatif de la suite trahit son appréciation personnelle: « Si les témoignages recueillis quant aux actes de cruauté souvent très proches du sadisme, qui ont été rapportés par certains, étaient l’expression de la vérité, aucune excuse ne saurait être invoquée en faveur de ceux qui s’en sont rendus coupables. De tels agissements ne pouvant avoir pour résultat que de discréditer la Résistance et de rendre inutiles les sacrifices consentis par d’autres combattants dans leur lutte pour la Justice et l’Humanité, principes qui ne semblent pas avoir toujours eu une égale faveur au château de Logères ».

Comme certitude, l’enquête a bien établi l’existence d’exécutions et l’utilisation du puits de Fons comme charnier puisque sur ce point les déclarations tant de témoins à charge que de résistants (au moins de façon implicite) concordent. La question des sévices l’est beaucoup moins, même si des violences paraissent avérées dans certains cas: les résistants interrogés (en dehors de Chavent) les niant ou déclarant les ignorer. Enfin, on peut observer que les enquêteurs n’ont pas poussé leur travail d’instruction sur le passé des personnes exécutées, privilégiant essentiellement les dépositions favorables de leurs proches.

Il ne serait d’ailleurs pas inutile de poursuivre les recherches pour en savoir plus sur les policiers chargés du dossier, sur la composition du tribunal Militaire de Lyon et sur la personnalité du juge Giuliani.

Epilogue

Ce dernier prévoit alors une exploration complète du puits de Fons. Des spécialistes sont envoyés sur place début mai pour examiner à nouveau les moyens à employer pour procéder à l’exhumation des corps. Le Dauphiné Libéré du 2 mai 1951 annonce que cette opération aura lieu en août. Le préfet de l’Ardèche, Jeanjean, dans un courrier du 28 septembre 1951 au ministère des Anciens Combattants retrace brièvement l’historique de l’affaire, mais déclare ne pas avoir été informé officiellement de la visite de mai. Le puits contenant de l’eau, on avait attendu l’été, mais rien ne s’était passé. Le préfet en conclut que les exhumations étaient repoussées à l’été 1952.

Le temps passe. La campagne de presse s’est arrêtée depuis longtemps. Une première loi d’amnistie du 5 janvier 1951, votée en pleine campagne du puits de Fons, et surtout celle du 24 juillet 1953 qui blanchit les « Malgré-nous » (Alsaciens-Lorrains enrôlés de force dans la Wehrmacht, même accusés de crimes comme ceux du massacre d’Oradour-sur-Glane) interrompt en même temps les poursuites engagées contre les résistants pour les actes commis pendant la guerre (voir contexte).

Le 18 juin 1955, le Tribunal militaire de Lyon clôt l’affaire par une ordonnance de non-lieu.


Jean-Louis Issartel

Sources :
Archives départementales de l'Ardèche : 72 W 628 (dossier sur l’affaire de Fons, instructions, enquêtes, articles de presse, correspondance du préfet...) ; 72 W 625 (documents sur la répression résistante) ; 87 W 5 (dossier du CHGM), 70 J 12 à 26 (Fonds du musée de la Résistance en Ardèche et de la Déportation, délibérations du CDL)
Michel Bancilhon, « un Ardéchois dans la tourmente » (manuscrit)

Bibliographie :
Sylvain Villard, « l’oubli ou la face douloureuse de la Résistance en Ardèche », 2007