Serge Ravanel et Albert Carovis

Légende :

Serge Ravanel et Albert Carovis, président du comité départemental de libération, en septembre 1944.

Genre : Image

Source : © Archives privées Serge Ravanel, don à l'AERI Libre de droits

Détails techniques :

Photographie noir et blanc

Date document : Septembre 1944

Lieu : France - Occitanie (Midi-Pyrénées) - Haute-Garonne - Toulouse

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Contexte historique

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D'origine polonaise, Albert Carovis appartient à une famille qui s'est installée en France, après être passée par la Belgique. Il naît en 1908 en Aveyron, à Penchot. Il fait l'école des Arts et Métiers et il reçoit une formation d'ingénieur. Il suit le peloton EOR de Saint-Cyr et il en sort comme sous-lieutenant. En 1938 il s'installe à Grenade, en Haute-Garonne. Il est alors chef de travaux dans une société de Travaux publics qui électrifie les campagnes, ce qui l'amène à se déplacer fréquemment et à connaître beaucoup de monde. Il n'a pas d'activité politique bien définie.
Mobilisé en 1939 dans un régiment de tirailleurs sénégalais, il est blessé par un éclat d'obus reçu le 5 juin 1940 dans la Somme. Replié à Biarritz, il situe là son premier acte de Résistance quand il refuse de suivre des camarades qui partent pour Londres. Il est partisan de poursuivre le combat en métropole. Il pense que "si tout le monde part à Londres, il ne restera plus personne ici, sur place".
De retour à Grenade, il reprend son travail tout en multipliant les contacts pour former un groupe de Résistance. "La Résistance, a-t-il dit, fut un métier de bâtisseurs. Je travaillais dans une entreprise qui construisait des lignes électriques et des rails de chemin de fer. (...) J'ai donc rejoint mes chantiers et j'ai commencé en même temps mon travail de résistant : chercher des gens qui voulaient se faire casser la figure sans espoir, quel qu'il soit (...). Parmi mon personnel, j'avais des éléments qui m'étaient sûrs. Je leur ai dit : voilà ce que je fais, j'ai besoin de vous. Ce furent mes premières recrues. C'est de cette manière que tout a commencé (...)". Ainsi naît un groupe de Grenade d'une trentaine de personnes, qui se consacre à la propagande et à la recherche de renseignements. A la fin de 1941, le contact est établi avec le mouvement Combat, par l'intermédiaire du commandant Marcouire ("Serge").
L'année 1942 est consacrée à la mise en place de structures clandestines étoffées. Albert Carovis devient le chef du secteur 1 de l'AS, l'un des mieux organisés du département. Il insiste sur l'importance des règles de cloisonnement et de sécurité, ainsi que sur la formation de ses camarades, qui doit être à la fois militaire, politique et civique. A partir de novembre 1942, la présence allemande entraîne une diversification et un durcissement de l'action. Celle-ci s'oriente vers les sabotages et les coups de main. "Finalement, le secteur 1 comptera près de 5000 membres organisés sur le plan militaire. (...) Tout ce petit monde voulait bien se battre, mais il ne voyait pas très bien comment (...). Faire une armée avec des gens qui ne se connaissaient pas et sans armes, ce fut une opération insensée !".
La dernière étape sera la formation en 1944 d'un maquis actif, le maquis Roger. C'est lui qui entrera le premier dans Toulouse le 20 août 1944. Albert Carovis en est le responsable, mais d'autres activités l'accaparent de plus en plus. Au début de 1943, il entre au Comité directeur départemental des MUR et, selon ses dires, il en aurait assumé la présidence pendant quelque temps. Mais c'est à la tête du CDL qu'il donne pleinement sa mesure. Il dirige d'abord un organisme informel qui s'inscrit ensuite, au printemps 1944, dans les perspectives et les orientations du CNR. Il est le véritable patron du CDL de la Haute-Garonne qui devient le fédérateur de la Résistance départementale, l'organe qui la coordonne et lui donne son impulsion. Sans étiquette politique précise (on l'a fait passer, à tort, pour un ancien socialiste pivertiste), il suit les instructions et il partage les idées du CNR.
Dans la nuit du 19 au 20 août 1944, il préside une première réunion qui organise l'insurrection libératrice toulousaine, puis une seconde qui désigne Pierre Bertaux commissaire de la République, en remplacement de Jean Cassou blessé et indisponible. La Libération effectuée, Albert Carovis ("Monsieur Jean") est l'un des hommes forts du département. Son CDL ne se contente pas d'un rôle consultatif, il intervient et tranche sur toutes les questions du moment. Homme de convictions, doté d'un caractère entier, il entre souvent en conflit avec Pierre Bertaux.
Homme de pouvoir, il ne se fait pas que des amis. Un soir, des coups de feu sont tirés sur sa maison de Lalande, un bâtiment réquisitionné qui lui a été offert par ses camarades du maquis Roger : ses deux filles s'y trouvent, elles ne sont heureusement pas touchées. Il a une vie personnelle agitée, une vie professionnelle remise en question par les suites d'un accident de moto survenu en mars 1944, où il a essuyé, en pleine nuit, une rafale de mitrailleuse allemande qui l'a immobilisé pendant une vingtaine de jours. Avec le temps, le CDL perd progressivement de son importance. Albert Carovis a le sentiment que la Résistance est trahie. Il se réfugie alors dans une semi-retraite. Il connaît des difficultés matérielles et il va jusqu'à ...se consacrer pendant un moment à l'élevage des moutons. Mais il réfléchit aussi aux causes de ce qu'il appelle l'échec de la Libération, et il imagine un projet de démocratie directe qui n'aura finalement pas de suite. C'est la parution en 1973 d'un ouvrage de Pierre Bertaux sur la libération de la région toulousaine qui lui donne l'occasion de revenir au premier plan. "L'affaire Bertaux" lui fait retrouver son esprit combatif d'antan. Il est à l'origine de la création du Comité de résistants pour l'histoire de la Libération de Toulouse et de sa région, ainsi que des douze numéros de la revue Résistance R4 entre 1977 et 1980. Dans les années 1980-1990, la maladie l'oblige à prendre à nouveau du recul. Il meurt en 2002. Il laisse le souvenir d'un "homme de conviction et de courage" que ses propres amis ont décrit comme faisant "partie de la race de ces chefs qui se révèlent au cours des périodes tragiques que traversent les nations". Depuis 2003, une rue Albert ("Jean") Carovis perpétue à Toulouse le souvenir de ce grand résistant.


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Albert Carovis belonged to a family of Polish origin who settled in France after leaving Belgium. He was born in 1908 in Aveyron, in the town of Penchot. He studied at the School of Arts and Trades where he trained as an engineer. He was part of the reserve officers in training platoon at Saint-Cyr, where he reached the rank of second lieutenant. In 1938 he moved to Grenade, in Haute-Garonne. He became the manager of Public Works which brought electricity to the countryside, allowing him to travel frequently and meet many different people. He was not particularly involved with any political party at the time.


Mobilized in 1939 as part of a Senegalese sharpshooter regiment, he received shrapnel wound on June 5 1940 in the Somme. Regrouping in Biarritz, he committed his first act of resistance when he refused to follow his comrades who were leaving for London. He believed that the fight needed to continue in France proper. He thought that « if everyone left for London, there would be no one here, at home ».

Back in Grenade, he returned to his former job while increasing his number of contacts in order to form a Resistance group. « The Resistance, he said, was a job for builders. I was working with a company that built power lines and railroads. (...) Thus I rejoined my fellow workers and I began my work as a resistant at the same time: looking for people who wanted to were willing to risk their lives with no hope for survival, whomever they were (...) Among my workers, there were certain whom I was sure about. I told them: here's what I want, I need you. These were my first recruits. That was how it all started (...) ». Thus a group of thirty people was created in Grenade, primarily concerned with propaganda and gathering intelligence. At the end of 1941, contact was established between the Grenade group and Combat (another Resistance movement) through the intermediary Major Marcouire (« Serge »).

1942 was devoted to putting in place expanded structure for the underground group. Albert Carovis became the head of Area 1 as designated by the Armée secrète (Secret Army), one of the best organized areas in the departement. He stressed the importance of security and compartmentalization, as well as the instruction of his fellow comrades in military discipline, politics and civic duties. Beginning in November 1942, the German presence led to a diversification and a hardening of resolve for action. The group began to veer towards sabotage and helping others resist the German presence. « Finally, Area 1 counted almost 5,000 members organized according to military ideas...Everyone in this little world wanted to fight, but they couldn't see how to...To make an army without arms and with people who don't know one another, it was a foolish operation! »

The last stage was the creation of a group of active hidden resistance fighters in 1944, called Roger. The Roger group was the first to enter Toulouse on August 20 1944. Albert Carovis was the leader of the group, but other activities began to monopolize more and more of his time. At the beginning of 1943, he joined the Comité directeur départemental (Departement Directoral Committee) of the United Resistance Movements, and according to him, he quickly gained control. But it was as leader of the Comité départemental de la Libération (the administrative branch of the Resistance movement) that he showed his full potential. He first led an informal organization which, in the spring of 1944, was focused on the future prospects and direction of the Comité national de la Resistance. He was the virtual leader of the Comité départemental de la Libération in Haute-Garonne which became the backbone of the Resistance on the departemental level, the organ that coordinated and gave impetus to the movement. Without a set of precise political beliefs, (it was wrongly assumed that he had been a former socialist and Pivert sympathizer), he followed the instructions and shared the ideas of the Comité national de la Résistance.

During the night of August 19 to 20 1944, he presided over the first meeting which was to organize the liberation of Toulouse, then a second meeting to declare Pierre Bertaux as Commissioner of the Republic as a replacement for an injured and unavailable Jean Cassou. With the liberation in effect, Albert Carovis (« Mr. Jean ») was one of the most powerful men in the departement. His Comité départemental de la Libération was not content to be only a consulting body; it intervened in and arbitrated all types of questions. A man of convictions, with strongly-held principles, he often came into conflict with Pierre Bertaux.

A powerful man, he made as many enemies as friends. One night, shots were fired at the Lalande house, a requisitioned building that had been given to Carovis by his comrades from the Roger resistant group: his two daughters were inside but thankfully were unharmed. He had a turbulent personal life and his professional life was brought into question following a car accident which occurred in March 1944, when he was caught by a burst of German machine gun fire which immobilized him for twenty days. With time, the Comité national de la Libération progressively lost its influence. Albert Carovis had the impression that the Resistance had been betrayed. He took refuge in a semi-retirement. He began to have monetary difficulties; it got to the point where he began to raise sheep. But he continued to reflect on the causes for what he saw as the failure of the Liberation, and he imagined plans for a direct democracy which would never be possible. It was the publication in 1973 of Pierre Bertaux's book on the liberation of the Toulouse region which gave him the occasion to return to the foreground of Resistance. « The Bertaux affair » brought out his fighting spirit of years past. He was one of the founders of the Comité de résistants pour l'histoire de la Libération de Toulouse et de sa région (Committee of Resistants for the History of the Liberation of Toulouse and the Surrounding Region), as well as the editor-in-chief of the dozens of editions of the literary review Resistance R4 published between 1977 and 1980. During the 1980s to 1990s, illness caused a new decline for Carovis. He died in 2002. He is remembered as a « man of conviction and courage » while his friends described him as having « belonged to that breed of leaders who rise during the tragic times that traverse nations ». Since 2003, the Albert « Jean » Carovis street in Toulouse continues to remind citizens of this great resistant.



Traduction : Carolyn Burkett


Michel Goubet, "Albert Carovis" in CD-ROM La Résistance en Haute-Garonne, AERI, 2008