La spécificité juive aux maquis de Vabre

Légende :

Rituel de prières juives utilisé au maquis de La Roque. 

Genre : Image

Type : Ouvrage

Source : © Amicale des maquis de Vabre Droits réservés

Date document : sans date

Lieu : France - Occitanie (Midi-Pyrénées) - Tarn

Ajouter au bloc-notes

Contexte historique

Au sein du CFL 10 relevant de l’Armée secrète du Tarn, les Eclaireurs Israélites composent une compagnie originale : la Compagnie Marc Haguenau placée sous le commandement de Robert Gamzon, dit capitaine Lagnès. Cette "compagnie juive", porte ce nom en souvenir du secrétaire général des EI, arrêté par la Gestapo à Grenoble, en février 1944, et qui choisit de se défenestrer pour ne pas être pris vivant. Le choix du nom de cette compagnie marque dès sa constitution sa spécificité juive.

Tous au maquis reconnaissent la singularité de cette compagnie, d’autant plus que beaucoup, et surtout à Lacado, parlent Yiddish. Cette particularité est rapportée dans un rapport ("rapport sur l’auberge") daté du 25 juin 1944 rédigé par un membre de l’Armée Juive venu incognito pour référer des agissements des EI auprès de sa direction AJ.

Bien que mêlée à la résistance générale, cette Compagnie marque également sa spécificité juive dans sa vie quotidienne au maquis : chants hébreux, prières, rites et coutumes hébraïques, lectures religieuses, en parfaite harmonie avec les non-juifs. Dès la mi-juin 1944, des non-juifs se sont, en effet, joints à eux ; paysans de la région, ils s’intègrent sans difficulté au maquis juif.

La vie juive, ses fêtes, ses rites sont observés dans la mesure du possible et selon les moyens dont les hommes disposent au maquis. Ainsi respecte-t-on le Shabbat (jour de la cessation du travail, du repos) et certains, les plus pieux, cessent même toute activité dès le vendredi soir, ce qui donnait lieu, bien entendu, à de vives discussions au sein de cette petite communauté : "Nous avions des règles, certes, mais qui n’étaient pas imposées : on voulait ou on ne voulait pas. Il y avait beaucoup de gens pieux…nous faisions le Shabbat le vendredi soir…mais du fait que nous étions une armée, on n’arrête pas une armée parce que c’est Shabbat. Par contre, il y en a 4 ou 5 qui ne voulaient rien savoir. Le vendredi soir, ils posaient leur fusil au ratelier et c’était terminé… il y avait des discussions mais ça passait comme ça" (Entretien de l’auteur avec Achille Szpilfogiel, 1987). Achille Szpilgogiel, dit Freddy, est arrivé à Vabre après son évasion de Noé, organisée par Léon Nisand.

Pierre Dunoyer de Segonzac, commandant des FFI de la zone A du Tarn, consacre un passage de ses mémoires, Le vieux chef (Ed. du Seuil, 1971), à tenter de définir leur spécificité : "Le groupe le plus singulier était celui des Israélites. Ils n’étaient pas du pays, mais venaient partout dans ce Sidobre qui, à l’origine, leur avait servi de refuge. Plusieurs d’entre eux étaient de naturalisation récente. Tous étaient très attachés à leur confession et rêvaient déjà de s’installer dans la terre promise".
Charles d’Aragon, adjoint de Dunoyer de Segonzac, écrit quant à lui dans La Résistance sans héroïsme (Ed ; du Seuil, 1977) : "Mais il existait au moins un maquis totalement homogène, c’est le maquis juif que nous allâmes inspecter, Segonzac et moi (…) A certains d’entre eux, aux discours que nous entendions, à quelques détails vestimentaires, nous connaissions que nous avions affaire à des Juifs religieux. Je suis de ces chrétiens chez lesquels une telle rencontre inspire un respect qui s’enracine au plus profond de l’être. Dans quel temps vivions-nous ? Nous avions vu tant de Juifs partir en groupe et captifs vers l’Allemagne. Voilà enfin que nous avions devant nous, rassemblés, entraînés, des Juifs prêts à prendre le même chemin, mais cette fois en armes. Personne n’avait l’air plus militaire que ces hommes dont les propos nous rendaient graves".

Alexandre Derczansky explique dans un entretien au RHICOJ (Les juifs dans la Résistance et la Libération) :"Ces E.I.F. ont développé un mouvement original qui n'a existé nulle part ailleurs. La coopération de gens extrêmement différents, Français et immigrés, religieux et non-religieux, sionistes et non-sionistes, la recherche de formes de lutte nouvelles et diverses, qui ne soient pas nécessairement calquées sur la Résistance française, montrent qu'ils avaient compris un point fondamental : la dimension politique du fait juif."

En 1944, les maquis de Vabre comptent quatre cent quarante-huit hommes parmi lesquels quatre-vingt-sept Juifs de la 2ème Compagnie, composée de cent trente-huit hommes.


Auteur : Valérie Pietravalle

Sources et bibliographie :
Valérie Ermosilla (Pietravalle), La Résistance juive dans le Tarn 1939-1944, réalités et représentations, mémoire de maîtrise sous la direction de Pierre Laborie et Jean Estèbe, Université Toulouse Le Mirail, 1987.
Mémorial de la Shoah, CDL XIX-39, « Rapport sur l’auberge » du 25 juin 1944.
RHICOJ, Les Juifs dans la Résistance et la Libération, Ed. du Scribe, 1985.
Charles d’Aragon, La Résistance sans héroïsme, Ed. du Seuil, 1977, page 186.
Pierre Dunoyer de Segonzac, Le vieux chef, mémoires et pages choisies, Ed. du Seuil, 1971, page 143.