V et croix de Lorraine dessinés sous une affiche du Secours national

Légende :

Photographie prise sous les colonnes du métro aérien, Paris, 1941

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © La Contemporaine (ex BDIC) Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique en noir et blanc

Date document : 1941

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Contexte historique

La campagne des V demeure l'opération de propagande alliée la plus ancrée dans la mémoire collective. Spontanément évoquée par les témoins de ces années noires, elle fut à l'origine d'un phénomène spectaculaire qui permit aux Anglais et aux Français de Londres de mesurer le pouvoir de la BBC sur la population occupée. Grâce à cette campagne, les Anglais prirent pleinement conscience du rôle que les auditeurs pouvaient jouer dans le combat. Au moyen d'instructions données sur les ondes, on pouvait perturber l'ordre en France et accroître les difficultés de l'ennemi.
La genèse de cette campagne remonte au 14 janvier 1941, date à laquelle le speaker belge de la BBC, Victor de Laveleye, lança un mot d'ordre à ses compatriotes, leur demandant de tracer des V un peu partout dans le pays. Les V de la Victoire se répandirent aussitôt en Belgique, en Hollande, mais aussi dans le Nord de la France et en Normandie. Sur les conseils d'Emile Delavenay, l'équipe française de la BBC décida alors de reprendre l'idée pour le territoire français.
Le 22 mars, dans un programme spécial en l'honneur du roi Pierre de Yougoslavie qui avait refusé de capituler devant les Allemands, l'émission fut consacrée aux V. Le succès fut immédiat. Les jours suivants, l'équipe française saisit toutes les occasions pour promouvoir la campagne, tout en préconisant la prudence dans l'action : "N'oubliez pas que la situation est trouble. Ne vous exposez pas témérairement, ne vous laissez pas aller à des mouvements inconsidérés", conseillait Pierre Lefèvre le 5 avril 1941(scripts BBC, samedi 5 avril 1941).

Maurice Van Moppès écrivit de nouveaux slogans et des ritournelles en l'honneur des V : V for Victory, V coq, Chantez les V, L'heure des V, Chanson des V, V dans la nuit, Voici les V, V au café, Réveil en V, Village en V... Le plus célèbre fut certainement la Chanson des V chantée sur l'air de la Ve symphonie de Beethoven. La propagande diffusée depuis Londres se devait de montrer que les Français étaient, sans l'ombre d'un doute, favorables à une victoire des Alliés et attendaient impatiemment la délivrance prochaine.

A partir du printemps 1941, le phénomène V ne quitta plus le sol français. On le retrouve régulièrement mentionné dans les rapports des Renseignements généraux, de la police, des préfets ou des services des occupants. Ce symbole graphique fut un moyen d'intimidation de l'ennemi en créant une obsession et en se rappelant sans cesse à lui, sur les murs, les voitures, les tracts, les feuilles volantes, les affiches, dans les journaux, sur des papillons ou encore tout simplement sur le sol même de la terre de France. Le résultat fut magistral. "On n'en finirait pas de citer les manifestations en tous genres, depuis le petit garçon de la rue qui, comme distraction, passe sa journée du jeudi à inscrire des "V" sur les voitures officielles et même sur les bottes des soldats allemands qui passent dans la rue, jusqu'aux chauffeurs des trains qui, en entrant dans les gares, lançaient dans l'air des "V" en morse", écrivait-on dans un rapport des services du général de Gaulle (AN, F1a 5215). Partout des témoignages signalent l'apparition de V sur les murs, les arbres, les trottoirs et autres supports extérieurs. Pour des Français déjà habitués à inscrire des "Vive la RAF", "Vive de Gaulle", "Vivent les Anglais", et à dessiner des Croix de Lorraine, l'opération fut spontanément acceptée.

Les préfets ne purent ignorer longtemps l'ampleur prise par cette campagne des V, et ils cherchèrent rapidement à la minimiser en attribuant le tracé de la lettre aux seuls enfants et collégiens de France. Il était rassurant de réduire le phénomène à de simples jeux de gosses et à d'innocentes plaisanteries. Il est sûr que la lettre V fut largement reproduite par de jeunes mains dans une atmosphère "récréative"... Les murs des écoles et des lycées furent facilement investis par les graffitis.

La campagne des V était gagnée, le symbole investit tous les coins de France, les arbres, les bancs, les murs et les pavés. La répression, seule, pouvait encore laisser croire aux occupants qu'ils pouvaient annihiler le phénomène. Ainsi, comme le raconte un auditeur de la BBC, depuis Paris : "le 5 avril, Le Petit Parisien, sous le texte ‘Les graffitis imbéciles font d'innocentes victimes', annonçait que 6.200 avertissement taxés avaient été adressés à des concierges, boutiquiers, principaux locataires ou propriétaires que les Allemands, fidèles au système des étages, ont rendu responsables".

Les autorités tentèrent par tous les moyens d'endiguer ce jeu de "lettre" qu'ils ne pouvaient laisser impuni au risque d'être ridiculisés. Le 2 avril, il fut annoncé aux propriétaires et aux locataires des immeubles qu'ils seraient responsables des V qui apparaîtraient sur les façades et écoperaient d'un avertissement taxé. Pour l'occupant, la participation de la jeunesse à cette campagne des V impliquait obligatoirement une responsabilité des professeurs, c'est pourquoi une surveillance discrète du corps enseignant des Universités et des écoles fut organisée (AN, AJ40 557).
Dans cette guerre déclarée contre les V, la presse et la radio furent également mises à contribution. Le 1er avril, Radio-Paris indiqua que des sanctions allaient être prises contre les responsables qui seraient poursuivis en justice. La presse en avertit la population, fustigeant à l'occasion les coupables comme le journal Les Nouveaux Temps qui, le 4 avril, en première page, pointait du doigt "les lâches qui causaient tant d'ennuis à leurs compatriotes". Pour mettre fin à la campagne des V, les autorités disposaient d'un large éventail de punitions allant de l'obligation de nettoyer les inscriptions à des peines de prison, en passant par le couvre-feu ou le paiement d'amendes parfois très lourdes. A Paris, la police fit preuve d'une intense activité pour punir les coupables et appliquer les sanctions. Le 25 mars, entre 9h30 et 16h30, elle relevait sur Paris, 1.803 V effacés sur 380 immeubles, et en banlieue, 639 V effacés sur 186 immeubles. En tout, cela représente 2.442 V sur 566 immeubles (Archives de la Police). Au cours de la dernière semaine de mars, la police de Paris appréhenda 30 personnes, dont 26 jeunes de moins de 18 ans, pour avoir tracé des inscriptions. Trois autres personnes furent arrêtées pour "propos gaullistes". Le 3 avril, 7 procès verbaux furent dressés et 10 personnes inculpées, et le 5 avril, 6 procès verbaux et 6 interpellations constituaient encore le bilan de la journée.

Les sanctions se multiplièrent tout au long de l'été 1941, parfois très sévères comme en témoigne l'expérience malheureuse d'un jeune homme âgé de 18 ans, condamné à 9 mois de prison par le tribunal de guerre de Saint-Cloud pour avoir été surpris en train d'écrire des V sur la chaussée (AN, F60 404). Le 13 juillet 1941, un imprimeur de Paris, âgé de 43 ans, fut pris à la station de métro Vaugirard en train de coller des tracts représentant un drapeau tricolore et un V en surimpression. Par jugement du 19 juillet 1941, il fut condamné par la treizième chambre du Tribunal de la Seine à 6 mois d'emprisonnement, 1.000 francs d'amende, 5 ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, 5 ans d'interdiction de séjour et à la confiscation des tracts. Le 22 juillet, un garçon de 17 ans, surpris deux mois plus tôt, le 25 mai, à Paris, à tracer rue de Turenne des V, des H et des inscriptions hostiles aux occupants, fut condamné à 4 mois d'emprisonnement avec sursis par le tribunal pour enfants et adolescents de la Seine (AN, BB18 3233).

En dépit de toutes ces sanctions, les autorités ne purent que constater l'inefficacité de leur politique de répression. Confrontés à leur échec, les Allemands tentèrent une dernière manoeuvre : récupérer la lettre V. Le 4 juillet, sur Radio-Paris, on entendait : "L'Europe est en train de battre le bolchevisme et personne ne doute de l'ultime victoire sur la Russie. C'est ce que signifie la lettre V". Le 7 juillet, Goebbels donna l'ordre officiel de reprendre pour le compte de l'Allemagne la lettre V comme symbole du mot Victoria. Satisfait de son idée, il déclara le 21 juillet : "Il faut faire passer les Anglais pour les plagiaires" (Robert Cloet).
Le 19 juillet, un large V fut placé sur la tour Eiffel et dans la nuit du 20 au 21 juillet 1941, de grandes affiches rouges marquées d'un V blanc au centre furent partout placardées en signe de "Victoria". Des V furent peints sur les voitures allemandes, sur les portes des locaux réquisitionnés. On plaça une immense banderole au dessus du fronton de la Chambre des députés et une autre couvrit le flanc de la tour Eiffel avec comme slogan "Deutschland siegt an allen Fronten" ("L'Allemagne vainc sur tous les fronts"). Les Allemands produisirent aussi des tracts avec "V H, Vive Hitler !" et "Victoria" en y  imprimant ostensiblement la Croix gammée. Mais si l'occupant s'octroya ce symbole jusqu'en 1944, la campagne des V lancée par la BBC avait indéfectiblement marqué l'opinion publique française. Le temps fit son oeuvre, l'effervescence mutine du début perdit du terrain, mais des V continuèrent à orner, ici ou là, des murs et autres supports en France jusqu'à la fin de la guerre.


Aurélie Luneau in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004

Sources et bibliographie :
Archives nationales, F1a 5215 (services de de Gaulle, campagne des V) ; F60 1697 (archives du service de diffusion clandestine en France du CNI à Londres, secrétariat LTE, manifestations publiques de résistance 1940-1943) ; AJ40 557 (dossier 8, courrier du Chef de la région administrative militaire, service de l'Administration à Paris, le 18 avril 1941) ; F60 404 (DGTO) ; BB18 3233 (Ministère de la Justice) ; AN, F60 1697 (CNI, interrogatoire du 6 avril 1941). 
Archives de la Préfecture de Police, série PJ, carton n°32 (rapports des RG)
INA, Scripts BBC, émission Les Français parlent aux Français, samedi 5 avril 1941, Pierre Lefèvre.
IHTP, ARC 044, Blanche Auroy, Journal d'une institutrice pendant la guerre, septembre 1940-février 1942 ; ARC 042 Fonds Emile Delavanay, interview du 16 octobre 1941 avec Madame Campbell.
Written Archives Centre, Caversham (Grande-Bretagne),  BBC, courrier des auditeurs. Lettre du 21 avril 1941.
Madeleine Gex-Leverrier, Une Française dans la tourmente, Paris, éditions Emile-Paul, 1945.
Micheline Bood, Les années doubles, Paris, Robert Laffont, 1974.
Robert Cloet, "Les directives de Goebbels" in Revue d'Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale, Paris, PUF, octobre 1966, n° 64.