"Le Comité Général d'Etudes (CGE)"

Le Comité des experts naît officiellement le 1er juillet 1942, date à laquelle Jean Moulin annonce sa constitution au général de Gaulle. Après le Bureau d'information et de presse (BIP), ce comité est le deuxième des services communs créés par Moulin dans le cadre de la Délégation générale naissante afin de faire coopérer les trois grands mouvements de la zone libre, Combat, Franc-Tireur et Libération-Sud, et de les conduire progressivement à se placer sous l'égide de la France libre. La mission qui lui est assignée est prospective. En liaison avec les groupes d'études issus des mouvements, il doit travailler aux projets de réforme constitutionnelle, politique, économique et sociale à mettre en oeuvre à la Libération, réfléchir aux modalités de la prise du pouvoir et prévoir les nécessaires changements de personnel administratif qui alors s'imposeront.

Les premiers membres du Comité des experts sont recrutés à l'instigation du professeur agrégé d'économie et fondateur de Liberté puis Combat, François de Menthon, avec l'accord de Moulin. Il s'agit, outre de Menthon lui-même, devenu rapporteur général sous le pseudonyme de "Tertius", de Paul Bastid, "Primus", professeur agrégé de droit, député et ancien ministre, de Robert Lacoste, "Secundus", fonctionnaire aux Finances et secrétaire de la Fédération des fonctionnaires, et d'Alexandre Parodi, "Quartus", maître des requêtes au Conseil d'Etat. Au début de l'automne 1942, le Comité s'adjoint un rapporteur pour les questions politiques en la personne de Pierre-Henri Teitgen, "Quintus", professeur agrégé de droit. En décembre, un sixième membre vient compléter l'équipe initiale en la personne de René Courtin, "Sextus", professeur agrégé d'économie.
Dans cette première équipe, Combat et Libération-Sud sont représentés à égalité. Au cours des deux premières années de guerre, les futurs membres du Comité des experts se sont retrouvés de loin en loin au sein des groupes de réflexion d'inspiration résistante de la zone libre. À partir du mois de juillet 1942, ils se réunissent plus régulièrement à Thonon puis à Évian. En octobre 1942, le Comité s'installe à Lyon. Au cours du printemps 1943, il s'installe à Paris. Il y restera jusqu'à la Libération. Dans l'intervalle, il aura changé deux fois de nom, devenant Comité général d'études (CGE) au cours de l'hiver 1943 (c'est sous ce nom qu'il est passé à la postérité) puis Comité national d'études (CNE) en juin suivant.

Dès l'automne 1942, et plus encore à partir du début de 1943, le labeur est intense au sein du Comité. À cette époque déjà, celui-ci est clairement engagé en faveur du général de Gaulle et de la France combattante. Ses réunions prennent la forme de sessions mensuelles de deux ou trois journées bloquées. Entre janvier et mai 1943, ses études s'orientent dans quatre directions : la politique économique d'après-guerre, le problème du gouvernement et des institutions politiques provisoires de la Libération, les réformes à appliquer dans les domaines juridique, administratif et social, la question de la répression des actes de collaboration.

Pour diffuser les résultats de ses travaux, le CGE publie à partir de la fin avril 1943 une revue de doctrine politique, Les Cahiers politiques de la France combattante, dont le rédacteur en chef est l'historien Marc Bloch, assisté de Louis Terrenoire et de Dannemuller. Chaque numéro est composé de trois parties, un éditorial, des études doctrinales et des chroniques sur les problèmes de la Libération. En un an d'existence (le 8e et dernier numéro paraîtra en avril 1944), les Cahiers ouvriront leurs pages aux multiples courants d'opinion qui composent la Résistance. Leur lectorat réduit n'en sera pas moins de haut niveau intellectuel.
Au long du printemps 1943, en raison de l'autorité qu'il a progressivement acquise au sein de la Résistance et de son rôle de conseil politique auprès de Jean Moulin, le CGE se trouve placé au coeur de la querelle des services centraux qui se développe dans le cadre de la fronde des chefs de mouvements contre Moulin. L'Organisation civile et militaire (OCM) notamment, par la bouche de Jacques-Henri Simon, est très critique envers un Comité qu'elle trouve par trop inféodé à la Délégation générale, c'est-à-dire à la France combattante.

À l'issue de la mission Closon (printemps 1943), le principe de l'indépendance du CGE vis-à-vis des mouvements de Résistance est maintenu, de même que sa mission d'étude prospective, mais il est décidé de lui adjoindre de nouveaux membres issus de la Résistance de zone Nord. Le docteur en droit et maître des requêtes au Conseil d'état, Michel Debré, arrive à la fin du printemps, le bâtonnier Jacques Charpentier au cours de l'été, et l'ingénieur de l'École centrale des Arts et Manufactures et docteur en droit, Pierre Lefaucheux, au cours de l'automne. Dans l'intervalle, François de Menthon est parti pour Alger. Il ne sera pas remplacé au CNE. Débute alors pour le CNE la phase de préparation active de la Libération. Ses membres travaillent désormais en collaboration étroite avec ceux de la Délégation générale, et ce d'autant plus que leur expérience est particulièrement utile aux successeurs de Moulin.
Aux membres réguliers du Comité s'adjoignent régulièrement des personnalités telles que Georges Bidault, René Brouillet, Alfred Coste-Floret, Francisque Gay, Jean Guignebert, Léo Hamon, André Hauriou, Pierre Kaan, Pierre Laroque, Louis Terrenoire... Tout en poursuivant leurs travaux de réflexion en matière administrative, sociale et d'institutions politiques, les équipes du Comité abordent des sujets aussi variés que l'éducation nationale, la natalité, les problèmes de la jeunesse, la politique religieuse, les questions de main d'oeuvre et de santé publique, la législation des dommages de guerre, la restitution des biens juifs spoliés ou encore l'épuration de la presse. Leurs propositions viennent nourrir les travaux de l'Assemblée consultative provisoire (ACP) et de ceux qui réfléchissent à Alger à la réforme future de la France. Toutes les idées et propositions émises par le CNE ne seront pas retenues, loin de là. Mais elles exerceront une influence indéniable sur les réformes de la libération. En outre, le CNE est de plus en plus consulté sur les questions économiques et financières. Par le truchement de René Courtin, il joue notamment un rôle moteur dans la constitution du Comité financier de la Résistance (COFI).

Certains de ses membres participent également aux travaux de la commission du Ravitaillement, de la commission des Travaux publics et de la commission de la Production industrielle. Enfin, last but not least, par l'intermédiaire de Michel Debré et de la commission des Désignations administratives, il participe activement, à partir de l'été 1943, au choix des commissaires de la République, préfets, et secrétaires généraux chargés d'assumer les pouvoirs de l'État au fur et à mesure de la libération.
Au printemps 1944, la nomination d'Alexandre Parodi à la tête de la Délégation générale vient parachever la quasi fusion entre celle-ci et le CNE, et ce d'autant plus que les deux adjoints de Parodi sont Lacoste et Teitgen. L'aboutissement du processus des désignations et le début de la libération du territoire marquent le terme de la mission du CNE, symbolisé en quelque sorte par l'arrestation de Pierre-Henri Teitgen, le 6 juin 1944.
Au cours de l'été, les membres du CNE continuent néanmoins de jouer un rôle actif en résistance. Tandis que de Menthon est ministre de la Justice au sein du GPRF, Parodi s'impose comme le très remarquable Délégué général de la Libération. Il devient ministre du Travail au sein du GPRF en septembre. Michel Debré est commissaire de la République à Angers. Paul Bastid, René Courtin, Robert Lacoste, Pierre-Henri Teitgen sont secrétaires généraux provisoires respectivement aux Affaires étrangères, à l'Économie nationale, à la Production industrielle (Lacoste sera ministre en septembre), et à l'Information (Teitgen sera ministre en septembre). Pressenti pour le poste de secrétaire général provisoire à la Justice, Jacques Charpentier le refuse. Quant à Pierre Lefaucheux, il est proposé pour être secrétaire général provisoire à la Production industrielle avant son arrestation le 3 juin 1944 (il sera PDG de la Régie Renault à la Libération). Par la suite, les membres du CNE se dispersent, en dépit d'une tentative pour continuer à faire paraître les Cahiers politiques qui fait long feu en 1946.

Au final, le Comité général d'études s'impose à la fois par son oeuvre remarquable de durée, de cohérence et de richesse et par le rôle déterminant que ses membres ont joué dans la préparation de la Libération puis au cours de l'été 1944. Ce véritable "Conseil d'Etat de la clandestinité" tient une place tout à fait exceptionnelle dans la Résistance française et incarne probablement une expérience unique en Europe.

 

Source(s) :

Guillaume Piketty, " Le Comité Général d'Etudes (CGE) ", in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.

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