Esther Ryvka Richter dite Ika

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Centre Medem-Arbeter Ring Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique

Date document : sans date

Lieu : France

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Contexte historique

Esther Ryvka Richter dite Ika naît le 20 janvier 1887 à Sierpc dans la Pologne annexée par l’Empire russe - son nom de jeune fille est Tatz. Elle s'intéresse très jeune à la politique et à la pédagogie. Dès 1915, elle part pour ses études à Varsovie et y adhère au Bund. Devenue éducatrice dans une de ses maisons d’enfants, elle se forme aux méthodes pédagogiques innovantes de "l’Éducation Nouvelle" introduites en Pologne par Janusz Korczak : considérer l'enfant comme une personne. En école primaire, Henri Steingart a été son élève. À partir de 1919, dans la Pologne redevenue indépendante, elle participe à la création de la Tsysho, le réseau d'écoles yiddish laïques dont le Bund est le principal initiateur.
En 1924, Ika quitte la Pologne pour Paris où elle poursuit son action militante au Cercle Amical - Arbeter Ring (CA-AR) qui regroupe les immigrants bundistes. Pédagogue confirmée, elle crée des cours de Yiddish pour leurs enfants (enfants dont c’est la langue maternelle mais qui n’est bien sûr pas apprise à l’école de la République). En 1937, plusieurs photos la montrent, entourée d’enfants, dans le centre aéré du CA-AR à Vieux-Moulin (Oise) organisé avec Sonia et Kiwa Vaisbrot.

A partir du 1er septembre 1939, plusieurs dizaines de milliers de Juifs étrangers s’enrôlent dans l’Armée Française. Les épouses se retrouvent seules avec leurs enfants. Le CA-AR leur apporte le soutien moral et financier dont, sans ressources faute de travail, elles ont besoin. Lors de l’offensive de mai - juin 1940, leur situation devient dramatique dans Paris vidé par l’Exode où plus rien ne fonctionne, ni pouvoir politique, ni administrations, ni services publics, ni commerces de première nécessité.

Le 14 juin 1940, jour de l’entrée des Allemands dans Paris, la seule institution juive qui ne ferme pas ses portes est le CA-AR dont Ika est responsable. Dès le lendemain, lors d’une réunion chez Léo Glaeser, Ika est une des initiatrices du Comité Amelot, qui regroupe le CA-AR avec entre autres l’Arbeter Heym (Foyer populaire juif) et la Colonie Scolaire. Ce comité, devenu le plus vaste réseau de résistance sociale juive, se dissimule sous la façade du dispensaire "La mère et l’enfant" au 36 rue Amelot (d’où son nom). Ika est aussi membre du comité clandestin du Bund qui organise l’action politique. Mais c’est à la tête de la cantine populaire (1) du CA-AR, qu’Ika joue un rôle essentiel en s’occupant de l’assistance sociale légale (aide financière, vêtements, dispensaire, etc.) et de l’organisation à une existence semi-légale (départs clandestins vers la zone non occupée, faux papiers, familles d’accueil pour cacher les enfants en province, etc.).

Les évènements tragiques s’accélèrent en mai 1941. Le 1er mai 1941 est célébré illégalement, à l’instigation d’Ika, dans cette cantine avec plus de 150 participants. Le 14 mai 1941, la rafle du "billet vert", première rafle de Juifs en France, permet à la police parisienne de retenir 3 741 juifs étrangers qui avaient été convoqués pour "examen de leur situation" par un billet de couleur verte. Les hommes arrêtés sont convoyés le jour même vers deux camps d’internement du Loiret, en partie improvisés, Beaune-la-Rolande et Pithiviers. Dans l’ignorance de leur sort, les femmes assiègent les bureaux des organisations juives, dont ceux du Comité Amelot. Après deux ou trois jours, parvient la nouvelle de leur lieu d’internement. Aussitôt, Ika et d’autres responsables d’associations d’entraide décident de s’y rendre, accompagnés de nombreuses épouses. Les camps, gardés par des gendarmes français, ne sont pas opérationnels et manquent de tout, en particulier de nourriture. Malgré les ordres reçus d’interdire toute visite, le directeur du camp finit par accepter l’entrée d’Ika avec une camionnette de vivres, mais aussi les lettres et messages des femmes (2).

Dans les jours qui suivent, de retour à Paris, Ika organise l’envoi de colis (ravitaillement, vêtements, etc.) pour ces internés sans passer par la voie officielle du Comité de Coordination des institutions et organisations juives (CC). Or Théodor Dannecker, l’envoyé spécial à Paris d’Adolf Eichmann, en prépare le contrôle et a fait venir et nommé deux juifs autrichiens pour diriger ce CC. Ce sont eux qui demandent perquisitions et mise au pas des organisations qui ne se soumettent pas. Au CA-AR, Ika et Nathan Shachnowski sont donc arrêtés par la Gestapo et emmenés au fort de Romainville qui est sous le contrôle direct de la Wehrmacht. Le 5 octobre 1942, Ika y succombe aux mauvais traitements qui lui sont infligés.

En 1948, une plaque commémorative est apposée pour donner le nom de "Foyer IKA" au château de Corvol l’Orgueilleux (Nièvre) devenu propriété de la colonie gérée par le Mouvement d’enfants du Bund (SKIF) puis par le Club laïque de l’enfance juive (CLEJ). En 2022, il n’y a aucune fiche au nom d’Esther Richter Ika dans les archives officielles françaises (Archives nationales, Service historique de la Défense, etc.), que ce soit en tant que victime civile de la guerre, de la Shoah ou résistante.


(1) Au 110, rue Vielle-du-Temple, une des quatre cantines du Comité : au mois de mars 1941, 38 000 repas y sont servis dont 14 300 gratuits - Archives du Jewish Labor Committee, Wagner Library, NYU.
(2) Voir cette action d’IKa dans le documentaire "La Résistance, victimes contre bourreaux face à la déportation des Juifs".


Auteur : Bernard Flam

Sources :
Biographie d’Esther Richter, Doyres Bundistn, Générations de Bundistes, vol. 2, pages 131-134, Farlag Unser Tsait, 1956, New York.
Archives du Comité Amelot - Yivo New York – Fonds Ugif - Rue Amelot 1939-1945 - Reel 1 - F6 Rapports sur les cantines, 1940-1941.
Documentaire "La Résistance, Victimes contre bourreaux face à la déportation des Juifs" © 2008 Les films de la Croisade-Yami 2- France 5, dvd 3 (historien Denis Peschanski).
- Entretiens de Cécile et Henri Steingart, New York, 1975, dans le cadre du projet "William E. Wiener Oral History Library of The American Jewish Committee" -NYPL SASB DOROT JEWISH DIVISION Rm 111- MK 593559 & MK 593540, traduits de l’Anglais et annotés par Bernard Flam.
- Note manuscrite anonyme datée du 9 octobre 1942 racontant la levée du corps au fort et l’inhumation dans un cimetière (pas celui de Bagneux où le cercueil est inhumé lors d’une cérémonie en 1946, avec celui de deux autres fusillés, dans le caveau du Cercle) - Archives du Centre Medem.
- Nécrologie écrite par Dyna Riba pour le 3e anniversaire de la mort d’Ika, numéro du 6 octobre 1945 d’Undzer Shtime, journal du Cercle Amical Arbeter Ring de Paris, Archives du Centre Medem & Mémorial de la Shoah, traduit du Yiddish par Bernard Vaisbrot.
- Photos diverses : archives du Centre Medem