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La préparation des jeunes bundistes à la lutte armée

Légende :

Tract du Bund clandestin en France, novembre 1943.

Genre : Image

Type : Tract

Source : © YIVO, RG 1400, B 3 F 17 Droits réservés

Date document : Novembre 1943

Lieu : France

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Analyse média

Traduction du yiddish par Erez Levy (Centre Medem – Arbeter Ring)

[Tract du Bund clandestin en France, novembre 1943]

 UNION SOCIALISTE JUIVE EN FRANCE

Aux masses ouvrières et populaires juives.

Camarades et amis !

Voila plus de quatre ans que Hitler inflige au monde une guerre sanglante. Quatre années de sang et de destruction, de feu et de ruines. Partout où retentirent les bruits de bottes de ses armées fut enseveli l'élan humain vers la liberté, brisant le combat pour une souveraineté démocratique du peuple, profanant la colonne de feu du prolétariat mondial : le socialisme[1].

Le spectre hitlérien s'est abattu sur l'Europe. De ses milliers de bras il a étouffé et étranglé, incendié et profané tout ce qui, sur le continent, était éclat et germe [de vie]. De [tant] de villes et de pays ne sont restés que des ruines. Des peuples se sont retrouvés déracinés de leurs foyers, des millions [d'hommes et de femmes], déportés et [condamnés] aux travaux forcés. Ses prisons et camps de concentration débordent [de détenus]. [Du haut] des gibets, [du fond] des tombes, le sang innocent d'innombrables combattants et martyrs nous appelle. Et sous le rire bestial de ses mamelouks[2], des millions de Juifs, hommes, femmes et enfants furent déportés, fusillés et pendus. Telle est l'ouverture solennelle qu'Hitler avait planifiée en prélude à son règne « millénaire » sur l'Europe. A présent, l'heure de la décision sonne. Comme la fumée au-dessus des villes incendiées d'Europe, les rêves de Hitler se dissipent. La guerre n'est pas encore terminée, mais son issue est déjà scellée.

De toutes les extrémités du monde nous parvient cette grande nouvelle. Ses armées « invicibles » sont défaites jour après jour, traquées et anéanties par les armées du peuple russe. Du sud, c'est [l'écho] des premiers effets de la force anglo-américaine qui nous arrive, et [dans le ciel] de l'Allemagne, le soleil est chaque jour caché par la force des oiseaux d'acier des peuples de la liberté. Dans les pays étouffés et piétinés, [voici que] s'élève le cri d'abord timide, puis plus ferme et sonore, de la liberté. Les forces clandestines s'éveillent, les amis se reconnaissent, les mains se serrent, de petites flammes s'allument d'un bout à l'autre de l'Europe. Dans les villes et les villages, de par les monts et les vallées, se forge une force nouvelle, plus vigoureuse que les rêves ténébreux du sanguinaire Hitler.

C'est la force de la liberté. Tel n'était pas le rêve d'Hitler, mais tel est sa fin. Homme du peuple et du travail, tu sais mieux que quiconque ce dont Hitler a rêvé. Demande[-le] à tes enfants déportés, à ta femme déshonorée, à tes parents assassinés ; demande-le à ton ami de la rue et à ton camarade d'atelier ; demande, et accuse[3] ! [Il ne s'agit pas de] pleurer ou de jeuner, laisse à d'autres déchirer leurs chemises [en signe de deuil]. Etouffe ton soupir, arrache de ton cœur le chagrin, afin que ta main recherche une autre main amie, et que ton cœur recherche [de même] un cœur ami. Une seule volonté doit te guider, qui est celle du combat, le combat pour la liberté, le combat pour la dignité humaine, le combat pour nos droits nationaux, le combat pour le socialisme[4].

Cet appel te parvient des profondeurs de notre histoire juive, depuis le sombre Moyen-Âge jusqu'à notre mouvement ouvrier d'avant-garde, jusqu'au Bund.

L'héroïque résistance des ghettos de Varsovie et de Bialystok, les sacrifices des masses juives sur les champs de bataille te montrent le chemin. D'anciens et modernes Hirsch Lekert te transmettent la flamme de notre tradition. Porte-la haut et avec fierté. 

Tu as une arme, qui est la solidarité[5]. [Demain] plus encore qu'aujourd'hui, apporte ton appui à notre action de sauvetage des masses juives. Tu rassasieras ainsi un affamé et gagneras un frère de combat.

Tu as une arme, qui est le courage[6]. Sache que le courage redresse les faibles et affermit tes propres bras.

Tu as une arme, qui est le socialisme[7]. Sache que le socialisme est la foi d'une humanité en renouveau.

Sois solidaire, sois courageux, sois socialiste[8] !

C'est dans ton [esprit d'] unité [solidaire] que se trouve ta force. Organisé au sein de ton mouvement de défense, tu es une puissance. Hitler le sait et cherche à anéantir dans le sang le mouvement de défense juif. Opposes-[y] ta [présence]. Tends la main à ton frère traqué[9]. Avec lui, crée [contre lui] un mur de défense et de résistance.

Les combattants français, le mouvement socialiste de la liberté t'attendent. Ce n'est qu'en te joignant [à eux] que tu pourras réduire à néant les plans de l'ennemi, ce n'est qu'en te joignant à eux que tu pourras porter ta contribution à la libération du pays.

Notre antique vérité socialiste est toujours nouvelle. Notre combat et notre destin sont liés au combat et au destin des peuples environnants.

Notre honneur et notre force reposent sur une organisation socialiste forte, elle seule peut effectivement défendre le droit de l'homme du peuple juif et, unis avec le mouvement socialiste international, conduire à ton émancipation nationale et sociale.

Tends ton oreille, camarade ; entends les pas qui se rapprochent de toi. Ce sont les pas de tes amis. Bientôt, tu entendras l'appel, le grand appel de l'avenir.

Tiens-toi prêt, camarade, et clame avec [nous tous] :

Vive la liberté !

Vive le socialisme international !

             France, novembre 1943


[1][3][4][5][6][7][8]Souligné dans le texte original.
[2]Au Moyen-Âge, les Mamelouks étaient un corps de troupe formé par des esclaves au service des souverains musulmans. Le terme est ici employé pour désigner les supplétifs de l'Allemagne hitlérienne. 
[9]p. 2.


Contexte historique

La jeunesse du Bund a en grande partie reçu une éducation socialiste et yiddish dans les rangs du SKIF (Sostyalistisher kinder-farband – Union socialiste des enfants), une organisation créée en Pologne en 1926 et dont la branche française a été développée par de jeunes immigrés de Pologne, Henry Steingart et sa future épouse Cécile (Tsirl) Steingart née Berkowicz, arrivés à Paris en 1929 et 1933. Ce couple, qui n’a que 23 et 24 ans au déclenchement de la guerre, passe en zone sud à la fin de l’année 1941, d’où il poursuit depuis Saint-Didier-au-Mont-d’Or (commune située au nord de Lyon) l’encadrement de jeunes âgés pour beaucoup de 16 à 18 ans.

Depuis leur base lyonnaise, les Steingart restent en contact avec d’autres groupes rassemblés à Paris, Toulouse et Grenoble, ceci grâce à l’intermédiaire d’agents de liaison. Ces jeunes hommes et femmes participent aux actions de sauvetage d’enfants – une priorité à partir de l’été 1942 pour le Bund comme pour d’autres organisations juives -, à la fabrique de faux papiers, au collage d’affiches, à la rédaction et à la diffusion de journaux et tracts clandestins (dont deux numéros de leur propre journal rédigé en français, Le Réveil des jeunes), tant d’actions pour lesquelles leur audace (selon des témoignages, ils volent notamment des documents et tampons administratifs dans des mairies et lancent par exemple des tracts dans une salle de cinéma de Toulouse lors d’une projection du film de propagande nazie Le Juif Süss) et leur maîtrise de la langue française sans accent (à la différence de leurs aînés qui ont immigré en France à l’âge adulte) s’avère propice à l’action clandestine. D’autres témoins ont également encore mentionné la destruction, par des jeunes résistants bundistes, de fichiers pouvant servir au recrutement pour le Service du travail obligatoire (STO) mis en place par le gouvernement de Vichy afin de répondre aux exigences allemandes de main d'œuvre.

En 1942, certains jeunes du Bund ont déjà rejoint, à titre individuel, des groupes de résistants Francs-tireurs et partisans français (FTPF, communiste), tel Julien Selonczyk, ou la résistance gaulliste, tel Marcel Steinmuller. A partir de septembre 1942, échapper au STO fait sans doute partie de leurs motivations. C’est notamment le cas du jeune issu des rangs du SKIF Sami Leber, qui évite le départ en Allemagne en rejoignant les maquis FTPF (une collaboration qui s’avère cependant parfois difficile en raison de l’anticommunisme virulent du Bund), avec lesquels il participe à la libération de Grenoble les 21 et 22 août 1944.

Au début de l’année 1943, alors que la résistance bundiste se concentre dorénavant à Lyon et dans ses environs, les jeunes du mouvement sont appelés par leurs aînés à venir les rejoindre. C’est sans doute à cette époque et alors que la résistance armée prend de l’importance en France que, sous la direction d’Henry Steingart secondé de Marcel Bartman et de Charles Szulc, un groupe de jeunes socialistes juifs entame sa préparation à la résistance armée. D’après des témoignages, beaucoup d’anciens skifistes ainsi que d’autres jeunes nouvellement recrutés dans leurs rangs se trouvent notamment animés du désir de venger leurs proches qui ont été arrêtés et déportés et aspirent par conséquent à se battre les armes à la main. Une vingtaine de jeunes hommes et femmes bundistes reste ainsi groupée à Saint-Didier-au-Mont-d’Or, où l’ancien sous-officier qui a combattu en 1939-1940 Avrom Gordon les forme au maniement de leurs quelques armes (plusieurs pistolets et une ou deux mitraillettes Sten), ceci sans toutefois utiliser de munitions, bien trop rares pour être utilisées à l’entraînement.

Les aînés du Bund, conscients de l’impuissance de leurs rangs - peu nombreux, faiblement armés et dénués d’entraînement militaire – face aux chars des soldats allemands, et craignant les représailles que des attentats individuels pourraient entraîner sur la population civile, insistent pour leur part sur l’aspect social de la résistance et en particulier le sauvetage en diffusant le mot d’ordre suivant : au lieu de se concentrer sur un gendarme ou un nazi en mesure d’arrêter dix Juifs, il faut faire en sorte que dix gendarmes ou dix Allemands ne puissent plus capturer un seul Juif. Signalons toutefois que dans les publications clandestines bundistes qui ont été conservées, la diffusion de mots d’ordre politiques appelant à l’union de forces juives et à la victoire du socialisme, occupe l’essentiel de leurs propos, même si les questions du sauvetage et de la lutte armée y sont mentionnées. Ne pouvant retenir leurs jeunes camarades désireux de rejoindre la résistance armée et les aidant à se procurer quelques armes, ils les prient cependant de préserver leur identité socialiste juive et de ne pas dissoudre leur unité au sein des détachements qu’ils rejoignent, ceux de Carmagnole et Liberté des FTPF-MOI (Main d’œuvre immigrée des Francs-tireurs et partisans français, combattants communistes).

 

Auteur : Constance Pâris de Bollardière

Sources et bibliographie (sélection) :
Catherine CollompRésister au nazisme. Le Jewish Labor Committee, New York, 1934-1945, Paris, Editions du CNRS, 2016.
Nicole Mandiolinier (Mandelmileck-Zoberman), Maurice Rothnemer, et Rouan (Zoberman), Raoul (Samuel), "Les jeunesses du BUND dans la résistance", Combat pour la diaspora, 23-24, 1977, p. 25-34.
Henri Minczeles, "La résistance du Bund en France pendant l’Occupation", Le Monde juif. Revue d’Histoire de la Shoah, 154 (1) 1995, p. 138-153.
Henri Minczeles, "Témoignage : l’aventure du Réveil des jeunes", Archives Juives. Revue d’histoire des Juifs de France, 28 (1), 1995, p. 60-67.
Pinkhes Mints [Aleksander], In di yorn fun yidishn umkum un vidershtand in Frankraykh: perzenlekhe zikhroynes [Dans les années de résistance en France : souvenirs personnels], Buenos Aires, Yidbukh, 1956.
Renée PoznanskiPropagandes et persécutions. La Résistance et le "problème juif", 1940- 1944, Paris, Fayard, 2008.
Renée PoznanskiLes Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Hachette Littératures, 1997 [1994].
Fajwel SchragerUn militant juif, trad. du yiddish [Oyfn rand fun tsvey tkufes (zikhroynes)] par Henry Bulawko, Paris, Les Editions Polyglottes, 1979.
Interview de Cécile Steingart par Marsha Rozenblit le 6 novembre 1975, William E. Wiener Oral History Library of The American Jewish Committee, Holocaust Survivors Project, New York Public Library.
Interview de Henry Steingart par Marsha Rozenblit le 30novembre 1975, William E. Wiener Oral History Library of The American Jewish Committee, Holocaust Survivors Project, New York Public Library.