L'Armée juive

Légende :

Quand-Même, journal clandestin lancé à Toulouse par l'Armée juive en décembre 1943.

Genre : Image

Type : Presse clandestine

Source : © Mémorial de la Shoah, Paris (France) Droits réservés

Détails techniques :

Journal imprimé

Date document : Décembre 1943

Lieu : FranceHaute-Garonne - Toulouse

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Analyse média

Quand-Même est un journal clandestin lancé à Toulouse par l'Armée juive. Le premier numéro, daté du 1er décembre 1943, mentionne une localisation à Genève, probablement dans le but d'égarer les recherches policières. Il est en réalité imprimé par Henri Lion à Toulouse. Ce numéro donne des "Nouvelles générales" et des "Nouvelles de France". Parmi celles-ci, la reproduction d'un tract du Front national appelle les Niçois à aider les Juifs pourchassés dans la région : "Nous devons tendre la main aux Juifs opprimés par les hitlériens, les soustraire au sort affreux que leur réserve la Gestapo. Aujourd'hui protéger les Juifs, cacher les Juifs est un devoir à la fois d'humanité, de christianisme et de patriotisme. Aucun Français ne voudra se dérober devant ce devoir urgent."

A sa création, le journal est administré par Moïse Finkelstein (Michel Fink) jusqu'à son arrestation suivie de sa déportation le 30 juin 1944. Thomas Bauer lui succède à cette fonction. Le journal cesse de paraître après la mort de Bauer dans la souricière tendue au 11, rue de la Pomme à Toulouse le 22 juillet 1944.


Auteur : Fabrice Bourrée

Sources et bibliographie :
Organisation juive de combat – France – 1940-1945, Paris, éditions Autrement, 2008.
Michel Goubert, La Résistance dans le midi toulousain, Toulouse, Privat, 2015.

Contexte historique

À l’origine de l’Armée juive, il y a la rencontre à Toulouse (où se regroupent les réfugiés fuyant l’avance allemande) de David et Régine Knout avec Abraham Polonski, sioniste révisionniste, et son épouse Genia qui meurt en juin 1941. Ensemble, ils fondent en août 1940 une première organisation de résistance nommée La Main forte. Cette organisation recrute dans un premier temps parmi les jeunes membres d’un cercle d’études juives, parmi lesquels Maurice Hausner, Arnold Mandel, Elie Rothnemer et l’écrivain Claude Vigée, animé par le rabbin Paul Rojtman. L’activité se concentre dans l’aide aux détenus des camps d’internement de la région toulousaine et à qui l’équipe s’efforce d’offrir une voie à l’évasion. Le premier corps franc est fondé à Toulouse en novembre 1941 et placé sous la direction d’Albert Cohen (Bébé).

Sur cette base est fondée, le 10 janvier 1942, l’Armée juive (AJ) qui prendra en 1944 l’appellation Organisation juive de Combat (OJC). C’est le résultat d’une entente entre Abraham Polonski, devenu Monsieur Pol, et Aron Lublin (Lucien), engagé dans le mouvement sioniste. Un comité central directeur est constitué et présente ses objectifs : formation d’équipes visant à exercer des représailles contre d’autres Juifs au comportement "inadmissible", création d’un service de renseignement et d’un groupe de volontaires prêts à passer à la lutte armée. Pour dissimuler l’organisation, Abraham Polonski crée le Comptoir des pièces détachées situé au 17, rue des Remparts, où sont en réalité fabriquer les faux papiers, entreposés des armes et organisés des cours de préparation au combat. Les modalités d’action se concentrent toutefois sur le sauvetage des Juifs de France soumis aux premières persécutions antisémites et aux premières rafles organisées par le régime de Vichy.

L’organisation profite de l’absence des nazis en zone Sud pour s’étoffer avec la création d’antennes à Lyon, Nice, Grenoble ou Marseille. L’invasion de la zone Sud en novembre 1942 soumet à l’organisation le problème de la lutte directe contre les nazis. 

Des accords sont signés, notamment avec l'American Joint Distribution Committee (JOINT) en 1943 qui finance son activité depuis la Suisse grâce aux liaisons effectuées depuis Lyon par Anne-Marie Lambert, épouse d’Ernest Lambert commandant de l’équipe locale qui convoie l’argent à Toulouse. D’autres accords lient l’Armée juive avec le Mouvement de la jeunesse sioniste (MJS) et les Eclaireurs Israelites de France (EIF). Ainsi font dorénavant partie du comité directeur de l’AJ : Polonski, Lublin, Jules Jefroykin (représentant du Joint en France), Leonard Zupraner, Alexandre Kowarski (directeur de l’ORT France), Robert Gamzon (fondateur des EIF) ainsi que Fréderic Hammel (EIF) et enfin Simon Levitte.

L’AJ devient une force essentielle dans la résistance juive en France. Les passages en Espagne peuvent ainsi s’intensifier. Les passeurs coûtent chers mais il est essentiel de permettre à ceux qui le désirent de rejoindre les Alliés ou la Palestine via Barcelone. Une structure spécifique est créée sous la direction de Jacques Roitman en octobre 1943, le SER (Service d’évasion et de regroupement). Après l’arrestation de Jacques Roitman en mai 1944, son frère Léon prend le relais et la filière continue. Parallèlement, pour suppléer les difficultés liées au passage en Suisse, l’AJ crée en avril 1944 le SERE (Service d’évacuation et de regroupement des enfants), dirigé par Gisèle Roman. On estime au nombre d’une centaine les enfants qui ont passé les Pyrénées. La politique de Franco consistait à faire que son pays ne serve que de lieu de transit et non de refuge. Aussi, adultes comme enfants devraient-ils partir. Les enfants vont prioritairement vers la Palestine.

Plusieurs corps francs sont créés, notamment à Paris, Lyon, Limoges ou Nice où l’équipe abat plusieurs collaborateurs. Début novembre 1943, un groupe de volontaires est conduit par Jacques Lazarus au maquis AS de Rec afin d’y suivre une instruction militaire. Quelques temps après, l’AJ fonde son propre maquis à Biques. Il est successivement dirigé par Meyer Sal, Maurice Hausner, Pierre Loeb et Henri Broder. En mars 1944, les maquisards quittent Bicques pour Lacaune (la Jasse de Martinou) puis le 25 avril 1944 ils s’installent à Lespinassière. Rattaché à l’Armée secrète, ils intègrent le Corps franc de la Montagne noire dès l’annonce du débarquement en Normandie et y constituent le peloton Trumpeldor dont le commandant est confié au lieutenant Levy-Seckel. Avec le CFMN, ils participent au harcèlement des troupes allemandes et aux combats de la Libération.

L’Armée juive est victime des services de la répression au cours de l’été 1944. Ernest Lambert, chef du groupe franc de Lyon, y est arrêté le 29 juin et fusillé. La section parisienne est détruite à la mi-juillet 1944 suite à l’infiltration d’un agent de l’Abwehr, Karl Rehbein. Arrêté en même temps que ses camarades à Paris, Maurice Loebenberg dit Maurice Cahcoud, ancien responsable de l’AJ à Nice puis chef du service des faux-papiers du MLN, meurt sous la torture. Quant à Régine Knout (Ariane Skriabine), membre du comité directeur de l’AJ, elle est assassinée par la Milice à Toulouse le 22 juillet 1944.

De nombreux hommes de l’AJ, devenue Organisation juive de Combat, prennent part aux combats de la libération dans les villes où l’organisation est implantée. A Paris, le corps franc reconstitué après la vague d’arrestations de juillet 1944 combat sous la bannière du groupe franc Alerte du MLN commandé par le capitaine Pierre Galais dit « Charcot-Neuville ». Le 18 août 1944, un commando composé d’Albert Akerberg, Lucien Rubel, Tony Gryn, Marc Levy et Isidore Pohorylès, muni d’un ordre de mission signé du colonel Rol-Tanguy, prend possession du camp de Drancy. Le 26 août, le groupe franc juif a la satisfaction de prendre part au défilé triomphal du général de Gaulle sur les Champs-Elysées.

En 1945, après une rencontre avec Ben Gourion, responsable de l’Agence juive et de la Haganah, Abraham Polonski met l’AJ à disposition de la délégation de la Haganah en Europe. A ce titre, l’AJ joue un rôle important entre 1945 et 1948 en faisant passer en Palestine plusieurs milliers d’immigrants. Le 6 avril 1946, Polonski conclut un accord avec Nahum Shadmi, chef de la Haganah Europe, par lequel il devient commandant de la Haganah en France et en Afrique du Nord. Lorsque la création de l’Etat d’Israël devient imminente, Polonski participe à la logistique des camps d’entraînement militaire mis en place par le Mossad Le'aliyah Bet, notamment dans les environs de Marseille. A l’issue de leur formation accélérée, les volontaires prennent part à la guerre d’indépendance d’Israël. En 1949, David Ben Gourion, premier ministre de l’Etat d’Israël, dissout la section française de la Haganah.


Auteurs : Guillaume Pollack, Fabrice Bourrée

Bibliographie :
Jacques Lazarus, Combattants de la Liberté, 1995.
Catherine Nicault, La France et le sionisme 1897-1948 : une rencontre manquée ?, Paris, Calmann-Lévy, 2014.
Lucien Steinberg, La révolte des Justes, les Juifs contre Hitler, Paris, Fayard, 1970.
Organisation juive de combat – France – 1940-1945, Paris, éditions Autrement, 2008.
Valérie Ermosilla, « La résistance juive dans le Tarn », in France 1940-1945 : Des Juifs en résistance, Revue d’histoire de la Shoah, n°152, septembre-décembre 1994.