La Seine-et-Marne (20 au 29 août 1944)

La libération de la Seine-et-Marne s'étend sur huit jours. Les Américains sont aux portes du département le 20 août 1944 ; ils vont, les jours suivants, affronter une armée allemande en retraite dont certains éléments tentent d'interdire aux Alliés le franchissement de la Seine et l'accès au plateau. Les résistants constituent une force d'appoint dans les opérations militaires, qu'il s'agisse de la protection des ponts, comme à Souppes-sur-Loing, ou des combats. La déroute des Allemands est marquée par de nombreux massacres et exécutions sommaires qui font de la Seine-et-Marne un département durement éprouvé par les combats de la Libération.

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Claude Cherrier

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Les têtes de pont haut ▲

Les ponts du Sud : on pouvait prévoir un mouvement sur le Loing par Souppes ou Château-Landon, conjugué avec une attaque vers Nemours et Fontainebleau. Pour les Américains, il s'agit du secteur du XIIe corps (général Eddy) et de la 4e division blindée. Ici, Gilbert Gaillardon, dont les hommes ont déjà pris le maquis dans le bois de la Brosse harcèle les Allemands. Pour ces derniers, l'objectif essentiel sera évidemment la coupure des ponts, au moins ceux du Loing. Ainsi détruisent-ils, le 18 août 1944, les ponts de Bagneaux-sur-Loing et de Glandelles (au nord de Souppes). En même temps sautent ceux qui se trouvent en aval de Nemours (Gretz-sur-Loing).
La Résistance, également consciente de l'intérêt de ces ponts, peut distraire quelques groupes afin de les protéger sans pour autant négliger le plat pays et ses routes. Ainsi, à Souppes, un groupe de combat disposant de fusils mitrailleurs s'installe dans la sucrerie dominant le grand pont dont on peut battre le tablier en contrebas. Il est impossible à l'ennemi d'atteindre le grand pont, sauf à utiliser l'aviation dont il semble dépourvu.
Installé plus au nord, au Coudray (RN7), un second groupe, possédant le même armement, peut balayer les autres ponts (secondaires). Enfin sont prévus d'autres groupes susceptibles de venir au-devant d'Allemands trop déterminés. Pour l'ennemi, cette commune de Souppes se révèle dangereuse : le 19 août, leurs véhicules sont attaqués et détruits, leurs hommes abattus, ce qui les amène à pénétrer en nombre dans la ville, ouvrant le feu au moindre prétexte ; ils vont jusqu'à placer des otages sur les ailes de leurs camions.
C'est également la prise d'otages qui incite les résistants de Piat à la prudence dans les rues de Nemours où les Allemands placent les torpilles sur les ponts. Entre-temps, de sérieux engagements se déroulent dans le secteur de Lorrez-le-Bocage où les résistants reçoivent des renforts de Voulx, Villebéon et Egreville (groupes de Pouvreau et Pigelet).
Le 20, des éléments avancés américains passent au sud de ce secteur, poursuivant leur route vers Sens et Troyes, mais en laissant quelques détachements à Château-Landon que François Ouvré va contacter. Quelques jeeps et des autos-mitrailleuses foncent alors vers Souppes, tournent dans la ville, rencontrent Dugas lui-même, effrayant les Allemands à la grande joie de la population... et s'en retournent. Un temps surpris, les Allemands reviennent le 21 en file indienne, longeant les murs, l'arme au poing : les hommes rencontrés sont regroupés au sommet de la côte d'Egreville, les femmes et les enfants emmenés à l'église (on a dû songer à l'événement proche du 10 juin à Oradour-sur-Glane). Les tentatives d'atteindre le grand pont ainsi que le pont du chemin de fer échouent, les résistants arrosant l'objectif, mais lorsque l'ennemi utilise les mortiers, la situation devient difficile. Il faut un retour des Américains (major Thomas G. Churchill) pour obtenir la fuite définitive des Allemands sur la rive droite. Ils se vengent en emmenant quatre otages (fusillés à Amilly dans le Loiret) et en exécutant cinq personnes le lendemain à la ferme de la Croisière. Mais le pont de Souppes est intact.

Plus au nord, la 5e division du général Irwin a lancé l'offensive depuis le PC du château de Courances, et libère la Chapelle-la-Reine. Dans le secteur du XXe corps (général Walker), Nemours ne semble pas être un objectif, puisque les Américains, depuis Ury, songent à franchir le Loing nettement plus en aval. Mais les ponts ont sauté (Gretz) et si le passage à gué vers Montigny (utilisé le 24), est à la rigueur possible, la recherche d'un pont intact s'avère nécessaire et le 10e RI, changeant de direction, entre à Nemours le 23. Ce 10e RI faisant office de fer de lance, les Américains se dirigent alors vers Montereau, l'aile gauche du XXe corps, resté en deçà du Loing, fonce vers Fontainebleau.

Fontainebleau (la première tête de pont)

Ce même 23 août, accueillis par les résistants tenant les lisières et les routes forestières et qui ont accroché des Allemands, maintenant passés sur l'autre rive de la Seine, les Américains atteignent Fontainebleau à midi, entrent en ville en début d'après-midi. Sans s'attarder, ils dévalent vers la Seine et le pont de Valvins qui ne tient plus qu'à un fil et qu'un obus va détruire définitivement le lendemain. Ici va se dérouler durant plusieurs heures un farouche duel d'artillerie de part et d'autre du fleuve. Sur la rive droite, Samoreau et Vulaines vont souffrir particulièrement. Des résistants se battent farouchement et quelques éléments américans qui ont pu traverser le fleuve creusent des tranchées au Bas-Samois.
Bien renseignés par des guetteurs dans le clocher de Samois, les Allemands contre-attaquent à la mitrailleuse et arrosent les pontonniers américains. Le ciel très bas (il a plu la veille) empêche l'intervention de l'aviation. Mais un obus abat le clocher et les Allemands tirent en aveugles. Peu après 18 heures le 24, le pont de bateaux pneumatiques est terminé et quelques blindés franchissent immédiatement la Seine. Après deux jours de combats, la première tête de pont est établie.

Montereau (la seconde tête de pont)

Les Américains abordent la ville par le pont du chemin de fer le 24, faisant jonction en ville (sur le mail des Noues) avec les résistants de Laissiau. Encore convient-il d'aborder réellement le plateau quand les Allemands, appuyés au château, tiennent la Cuesta à Surville et peuvent prendre la grande rue en enfilade en contrebas. Les résistants de Ballot et Payen, venus par La Tombe et Marolles investissent Surville par le faubourg Saint Nicolas et le cimetière, tandis que Laissiau arrose la colline avec ses fusils-mitrailleurs.
Mais c'est à coups de canons de chars depuis Ville-Saint-Jacques et Noisy-Rudignon (6 kilomètres) que les Américains réduisent les Allemands de Surville.

Melun (le chef-lieu, troisième tête de pont)

Dans le secteur nord du XXe corps, il échoit à Sylvester (7e division blindée) de marcher sur Melun. Sa progression, commencée le mardi 22 vers 16 heures, est sérieusement facilitée par les résistants locaux après que des autos-mitrailleuses ont tiré sur des blindés américains. La Résistance tient solidement le triangle Perthes-Villiers-Pringy. Les bois de la route de Perthes sont nettoyés jusqu'à la fourche de Vosves par le sergent Beaufils. On signale les emplacements de mines, on détruit les barrages de blindés, on fait des prisonniers. L'avance prend des allures de promenade jusqu'au pont de la gare où Américains et résistants sont cloués par quelques six ou sept blindés (les Allemands ont 22 chars à Melun), des"Goliath" télécommandés, bientôt par l'artillerie qui, depuis Cesson, pilonne la rive gauche. Il est impossible d'aller plus avant et l'artillerie américaine bombarde les quartiers du sud, de la gare et les quais. Ce saccage continue le lendemain (le 23) alors que les Allemands se sont retirés vers Melun-Nord et tant que de courageux Melunais n'ont pas informé les Américains de la situation réelle, évitant sans doute à la ville un bombardement aérien. Quelques soldats américains parviennent à atteindre l'île dans la soirée, mais l'artillerie allemande interdit toute progression. La décision est acquise dans la nuit du 23 au 24 quand les troupes américaines lancent deux ponts de bateaux pneumatiques en aval, depuis Tilly et Saint-Fargeau, établissant une tête de pont à Seine-Port et prenant Melun à revers. Une colonne fait taire l'artillerie de Cesson et entre à Melun par la préfecture (nord- ouest). Des combats de type individuel se poursuivent au centre de la ville quand d'autres éléments américains, venus de Vulaines-Samoreau, investissent Melun par le sud-est. Tout semble réglé le vendredi 25, jour de la libération de Paris, alors que la Résistance s'installe à la préfecture. Les combats ont duré 72 heures.
Encore faut-il supporter le bombardement vengeur de la Luftwaffe le lundi 28 à 23 heures des quartiers du nord de la ville. L'ensemble de la bataille a fait 50 morts civils, 60 blessés, 1 500 maisons sont sinistrées et 70 complètement détruites. Les Allemands ont également perdu 50 morts et 200 prisonniers. Les Américains peuvent envisager la traversée du plateau.

Auteur(s) : Claude Cherrier

La libération de la Brie haut ▲

La traversée du plateau

Traverser le plateau ne se révélera pas aisé. Si les Allemands possédaient, juste avant l'arrivée des Américains, des troupes à demeure, accrochées en profondeur et représentant les éléments de plusieurs divisions (dont une de Panzers et une Panzer SS), cette situation évolue très vite : force est bien d'admettre que toute la moitié orientale du département est encore tenue par des troupes rabattues de Normandie et de Paris, représentant au moment de l'insurrection, quelques 20.000 hommes, plus ou moins bien organisés mais des plus furieux (passage d'éléments du NSKK dans le nord-est). Cette zone de retraite se fera nécessairement zone d'accrochages. Quand "Vulcain" (Vieillard) donne à "Rigobert" (Jean-Louis de Ganay) l'ordre de marcher sur Melun depuis Nangis (avec 80 hommes!), pour y tenir les ponts jusqu'à l'arrivée des Américains (Mulsant, le chef, a disparu en se portant au devant d'un groupe SAS en forêt de Fontainebleau), celui-ci refuse cette mission évidemment impossible : les lignes allemandes sont établies en profondeur, des postes SS tiennent les grands carrefours.
Une colonne américaine, partie de Montereau, gagnera le Montois, accrochée, comme Ballot et ses résistants, par une arrière-garde allemande à Cannes-Ecluse. Mais la Résistance a engagé le combat à Bray dès le 22 et se battra durant deux jours.
La traversée du centre du plateau échoit essentiellement à la 7e division blindée et à la 5e division d'infanterie. L'armée américaine libère Brie (accrochage à Grisy-Suisnes), Tournan, Provins, en se concentrant d'abord sur Nangis. Avec les troupes venues de Fontainebleau (engagement et mort de Haward Volk dans son blindé à Hericy), celles de Melun se heurtent aux Allemands à Sivry-Courtry, où elles doivent faire donner l'aviation (avion de Ernest B.Gaston abattu), pour s'ouvrir la route de Chatelet et de Machault, accompagnées et guidées par la Résistance.
L'attaque a commencé le 26 août. Les Allemands ont transformé les fermes (des Granges et de la Ronce) en forteresses. Ils attachent des résistants sur les tourelles de leurs chars (mort de Labreuvois). La colonne américaine fonce vers Nangis par la route N 446 (actuellement D 408), mais doit également se battre sur la N 19 et faire sauter de solides verrous à Chatillon-la-Borde et à la Chapelle-Gauthier. L'aviation doit intervenir jusquà Nangis. Farouches combats encore à la Chapelle-Rablais, à Fontains et près de la belle église gothique de Rampillon. Si les véhicules traversent Clos-Fontaine à toute vitesse, il conviendra d'y revenir, les Allemands s'y trouvant toujours (parc de la Boullaye), c'est la libération de Gastins (sur l'aile gauche), mais après un sévère accrochage aux Loges de Quiers et la nécessaire destruction des verrous de Bailly-Carrois et de Clos-Fontaine.
A Maison-Rouge, la colonne américaine se scinde en deux, une partie se dirigeant vers Chenoise, l'autre vers Lizines et le Montois, où la Résistance est assez solidement implantée. L'objectif est maintenant Provins, investie le samedi 26 août au soir.

Provins

De Chenoise, les Américains atteignent Saint-Hilliers et la ferme de Savigny (route de Voulton) pour bloquer la ville au nord (le 26 à 22 heures). Le dimanche 27 au matin, les Américains tiennent Soisy-Bouy et ferment le sud. La ville est encerclée quasi complètement, si l'on excepte une porte de sortie vers le sud-est par Léchelle et Chalautre-la-Grande. Mais les lignes sont tellement imbriquées que les Allemands ne croiront pas à l'enlèvement de quelques-uns d'entre eux par les Américains, supposés trop éloignés, et imputeront cette action aux "terroristes" (exécution de 13 habitants de Chalautre- la-Petite). Le 27 au soir, tout était pourtant dit d'un combat engagé le matin à 9 heures. L'artillerie américaine commence à bombarder les canons allemands depuis le plateau menant à la ville haute (Vulaines-les-Provins) et depuis le Mez-de-la-Madeleine (vallée et route de Montereau). Des troupes autrichiennes de montagne et des éléments SS pourvus de blindés et de pièces d'artillerie disséminées dans la ville, en défendent les abords occidentaux et méridionaux .Il s'agira essentiellement d'un duel d'artillerie, les canons allemands immobilisant les chars américains, l'artillerie américaine et l'aviation tentant de les neutraliser. D'autres éléments américains partis de Montereau et arrivant par Bray, obligent à la retraite les militaires du parc à munitions de Poigny et de Champbenoist, au sud. A 17 heures, l'armée américaine entre à Provins par l'ouest et le sud et leur aviation mitraille les colonnes en retraite à Saint-Brice et à Léchelle. Il appartiendra à la Résistance de nettoyer le secteur.

Auteur(s) : Claude Cherrier

La Vallée de la Marne et la libération du Nord haut ▲

On pouvait prévoir des combats plus âpres dans le nord (présence des FTP à proximité du triage de Vaires, implantation des corps-francs Vengeance à Lagny). Mais la dureté des engagements de Chelles ne va pas se répéter partout. Il s'agit, à l'ouest, d'un secteur ouvrier, davantage politisé et très décidé à en découdre (après les exécutions de la Cascade du Bois de Boulogne). Le 25, au moment où les Américains entrent à Melun et établissent la tête de pont de Valvins, près de Villeneuve-Saint-Denis, la Résistance (Vengeance) s'accroche avec les Allemands qui exécutent onze jeunes résistants. Mais, plus au nord, les combats ont débuté les 23-24, sans attendre les Américains (ou pour les prendre de vitesse). Ainsi à Chelles où, à midi le 24, le CLL s'empare de la mairie et du commissariat, met sur pied une commission administrative spéciale. A 16 heures, les corps-francs, essentiellement FTP, attaquent les Allemands à la caserne Sainte Bathilde et dans le triage qu'ils sont en train de miner. Les résistants se heurtent à des fusiliers marins et à des Panzers mais conservent la mairie et le commissariat et font des prisonniers. Alors l'autorité allemande demande au sous-préfet Poulat d'intervenir pour faire libérer les prisonniers, menaçant de détruire complètement la ville. C'était en fait un moyen de gagner du temps, pour faire intervenir des renforts.
Ils reprennent la mairie qui sera partiellement détruite, exécutent des otages dans le parc, fusillent dans les rues, ouvrent le chemin à leurs convois dans les blocs de maisons près de la mairie, à l'aide des blindés.Un cauchemar de trois jours qui se termine à l'arrivée des Américains dans l'après-midi du dimanche 27 alors que les combats continuent dans la gare de triage. Dans le dispositif américain, le secteur était réservé à la première Armée du général Hodges qui, de Chelles, fonce vers Meaux (entrée le 27 sans difficulté mais après le combat d'Esbly) et La-Ferté-sous-Jouarre, le même jour (après des combats de blindés à Trilport et à Nanteuil-les Meaux). De part et d'autre de ce grand axe, la libération de toutes les communes se déroule sur trois journées (27-28-29 août).
On aurait pu croire que les Américains laisseraient aux FFI les régions rurales les plus excentriques (passage rapide, sans arrêt, des véhicules à Neufmoutiers), mais il n'en est pas toujours ainsi. On voit les Américains jusqu'à Iverny et Plessis-l'Evêque. Les combats les plus violents se déroulent parfois à l'extérieur de l'axe de poussée américaine: bataille à Montry, Iles-les-Villeroy, Nanteuil, au sud de cet axe, combats de Saint-Pathus et de Oissery (résistants et Allemands) au nord du dispositif. Le 27, la progression américaine s'ouvre en éventail vers le sud-est, en même temps qu'une autre colonne venue du sud-ouest (depuis Melun et par Chailly-en- Brie), la rejoint. C'est alors la libération de Coulommiers, de la Ferté-Gaucher (accrochage sérieux). L'armée américaine poursuit les Allemands hors le département. Il a fallu une semaine pour libérer la Seine-et-Marne (du 22 au 29 août).

Auteur(s) : Claude Cherrier