"L'épuration extrajudiciaire"

L'épuration constituait, pour les résistants comme pour les autorités de la France libre, une nécessité morale et politique. Il s'agissait en effet de punir ceux qui avaient failli, et de reconstruire le pays sur des valeurs démocratiques et républicaines. 
L'épuration extrajudiciaire apparaît dès 1944 comme la face honteuse de cette entreprise de régénération. En novembre 1944, le ministre de l'Intérieur, Adrien Tixier, en lançant sans avoir procédé à une enquête sérieuse, le chiffre de 100 000 victimes, fournit aux nostalgiques de Vichy des arguments pour discréditer la Résistance. 
Le gouvernement publia en 1948 et 1952 des enquêtes qui ramenèrent les chiffres à 10 000. Le Comité d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale (CH2GM), dans une étude portant sur 84 départements, propose le chiffre de 8 100 personnes, ce qui constitue un ordre de grandeur validé par les études ultérieures, dont celle de Henry Rousso, publiée en 1992.

Ce bilan repose cependant sur une définition très floue de l'épuration extrajudiciaire. L'enquête du CH2GM montre que 20 à 30 % des exécutions extrajudiciaires ont été commises avant le 6 juin 1944, 50 à 60 % entre le 6 juin 1944 et la libération du département étudié, 15 à 25 % après. Cela signifie que l'immense majorité des exécutions sommaires ont été effectuées pendant l'Occupation et pendant les combats de la Libération, alors que les autorités de la France libre n'avaient pas pu mettre en place les instances juridiques permettant une épuration légale, ce que Robert Mencherini définit comme « l'épuration préjudiciaire » comportant deux aspects : des exécutions sommaires ordonnées par des cours martiales composées de FFI ou de FTP, qui, sans avoir de légalité peuvent ne pas être considérées comme illégitimes, et d'autres dont les auteurs restent inconnus.

Henry Rousso propose de réserver le terme d' « épuration extrajudiciaire » à celle qui se déroule alors qu'il existe une alternative légale, donc après la mise en place des juridictions destinées à épurer, tout en respectant un État de droit. 
On peut donc diviser par quatre le chiffre avancé par les enquêtes de 1948, 1952 et les travaux de CH2GM. Cela n'efface pas la réalité d'exécutions sommaires, de lynchages et d'exactions diverses comme les tontes de femmes, mais il faut tenir compte du contexte de la Libération.

La population française - au premier rang desquels les résistants - avait subi la violence de l'Occupation, qu'elle fût le fait des Allemands ou du régime de Vichy. Il était difficile d'éviter tout débordement. Les exécutions sommaires connaissent d'ailleurs de brusques flambées en fonction des événements militaires (offensive des Ardennes, par exemple) qui font renaître l'angoisse, comme lors du retour des déportés, rendant insupportables les lenteurs et l'indulgence, vraies ou supposées, de la justice.

L'épuration extrajudiciaire, comme le note Henry Rousso dans son article, est le reflet de la « guerre franco-française » qui a déchiré le pays à partir de juin 1940, et a véritablement éclaté en 1943-1944.

Auteur(s) : Sylvie Orsoni
Source(s) :

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.

Henry Rousso, « L'épuration en France, une histoire inachevée », in Vingtième siècle, PFNSP, n° 33, 1992, pp. 78-105.

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